La nouvelle stratégie d’Obama face à la victoire subtile et obscure des militaires au Pakistan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annoncée d’une manière on ne peut plus claire pendant la campagne présidentielle, la nouvelle stratégie que Barack Obama a présentée vendredi marque un tournant décisif pour la stabilisation de l’Afghanistan.

 

Loin d’être le pacifiste béat que certains gauchistes européens auraient voulu voir en lui, Barack Obama prouve par cette nouvelle initiative que, si sa présidence sera dominée par la gestion de la crise économique, son action diplomatique et militaire demeurera au moins tout aussi ambitieuse que celle de son prédécesseur ; la pertinence, l’efficacité et l’intelligence en plus, ce qui n’est pas si mal.

 

Le ton et la mise en scène figuraient bien une déclaration de guerre. De fait, fièrement entouré de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton et de son secrétaire à la guerre Robert Gates, Obama a lancé une nouvelle, et pourquoi pas finale, stratégie contre les bastions d’Al-Qaeda et des nébuleuses mafio-islamistes pakistano-afghanes, communément appelées les talibans.

 

 

Par delà un renforcement des troupes indispensable –et qui devrait être suivi de renforts de l’Otan pour peu que les Européens montrent un brin de courage et de détermination- les nouveaux plans militaires américains vont s’insérer dans une stratégie diplomatique régionale. Celle-ci vise d’une part à diviser les groupes talibans en séparant les fanatiques irrécupérables des « nationalistes » motivés par l’appât du gain facile, et d’autre part à renforcer son soutien financier au Pakistan dans sa propre lutte contre le terrorisme, sous réserve de résultats. Ce dernier élément implique par ailleurs une possibilité d’intervention directe en cas d’échec d’Islamabad.

Il s’agit par ailleurs de se concilier une bonne fois pour toute sur ce dossier les bonnes grâces de l’Inde, de la Chine et de la Russie, et de l’Iran, dernier élément qui n’est pas étranger à la danse du ventre que l’administration commence à esquisser devant Téhéran.

 

L’erreur principale du gouvernement Bush en Afghanistan avait consisté à croire qu’une victoire militaire fulgurante suivie d’une vague reconstruction nationale suffiraient à faire disparaitre les Talibans qui, après tout, n’étaient que des pouilleux enturbannés. Une sous-estimation d’autant plus troublante que les Américains avaient admiré leur résistance inouïe face à l’invasion soviétique. Sans doute pensaient-ils qu’ils susciteraient bien d’autres sentiments que les Soviétiques, illusion vite dissipée par le rapide reprise des offensives de guérilla des Talibans depuis leurs havres pakistanais puis de leurs bastion sur le sol même de l’Afghanistan.

 

Ayant établi un calendrier précis pour le retrait du délire irakien, Obama a bien vu qu’il devait concentrer ses forces sur l’Afghanistan et le Pakistan pour stabiliser enfin ces deux pays et surtout liquider une bonne fois pour toute, sinon Al-Qaeda, au moins le cœur de ses forces.

 

Une fois encore, le destin de l’Afghanistan et du Pakistan apparaissent bien mêlés l’un à l’autre, et cette réalité géopolitique va enfin être prise en compte par Washington. En investissant un représentant, Richard Holbrooke, chargé spécialement de la région, Obama avait montré dès la première semaine de son mandat, que sa vision politique était au combien plus affinée et pertinente que celle de son prédécesseur. M. Holbrooke s’était immédiatement employé à sillonner la région, pour préparer tout le petit monde des dirigeants de Kaboul et d’Islamabad à accepter que les choses allaient devenir un brin plus sérieux.

 

Après quelques semaines de réflexion, menées notamment avec l’aide du sénateur John Kerry, les Américains viennent de décider de subventionner massivement la lutte du Pakistan contre le terrorisme avec près d’un milliard de dollars par an supplémentaire. Or, si cette stratégie est de loin la plus adaptée à la situation –l’OTAN ne pouvant pas pénétrer en terre pakistanaise sans provoquer un mouvement d’union nationale qui amènerait la population à soutenir les islamistes-, elle n’est pas sans risque puisque l’utilisation de ces sommes importantes n’est pas du tout assurée, aux vues des échecs successifs et de la mauvaise gouvernance dont a fait preuve le gouvernement d’Asif Al-Zardari, le président du Pakistan, veuf de Benazir Bhutto.

 

En effet, loin d’être redevenu un Etat de droit exemplaire depuis la chute de Muscharraf, le Pakistan est proche de l’ingouvernabilité après un conflit politique extrêmement grave qui, sous couvert d’un prétendu renouveau démocratique, a totalement discrédité le pouvoir civil en place et remis les militaires au cœur des luttes d’influence. Les derniers jours ont permis la conclusion de cet enième conflit entre les parties de la coalition civile qui avait renversé le général Pervez Muscharraf l’année dernière et qui est aujourd’hui totalement éclatée et fratricide –comme prévu.

 

 

L‘alliance opportuniste entre le Parti Populaire Pakistanais (PPP) de Zardari et de feu la bégum Bhutto, force laïque de gauche du pays, et la Ligue Musulmane, de droite, de Nawaz Sharif ne pouvaient pas tenir. Clientélistes et arrivistes, les leaders civils pakistanais avaient bâti leur coalition sur le rejet de Muscharraf et leur soutien providentiel à ce fameux mouvement de protestation qu’avaient entamé certains juges et avocats après le limogeage du président de la Cour Suprême Iftikhar Chaudry.

 

Or une fois le pouvoir acquis, cette même coalition n’avait aucunement l’intention de remettre ce juge en place pour la simple et bonne raison qu’il était en charge des dossiers de corruption qui visait à juste titre aussi bien Zardari, « mister 5% », que Sharif…

 

Les élections ayant porté le PPP au gouvernement avec une majorité claire au détriment de la Ligue Musulmane, Nawaz Sharif a vite été marginalisé et même mis en cause judiciairement par les juges qu’avait choisis le nouveau président Zardari…

 

A partir de cette décision dramatique et politicarde de Zardari, la précaire coalition civile était balayée et l’instabilité pouvait redevenir la norme entre les quatre pouvoirs  présents au Pakistan : les politiciens civils, désormais divisés, le pouvoir judicaire émietté entre les déçus de la restauration démocratique et les créatures du nouveau gouvernement, l’Armée, mise de coté par la chute de Muscharraf, et les Islamistes, qui tiennent le tiers nord ouest du pays.

 

A l’instant où Zardari avait viré Nawaz Sharif et oublié d’honorer ses promesses envers le pouvoir judicaire, il soudait contre lui ces deux acteurs politiques, qui rejoignaient de fait les ennemis naturels du pouvoir civil, les militaires et les islamistes, qui par chance sont eux aussi divisés.

 

Et il  n’aura pas fallu longtemps pour que les avocats et les juges reprennent leur mouvement, et mènent à cette semaine inouïe de troubles, couronnée par une reddition totale du gouvernement de Zardari !

 

Après des jours de manifestation et une « Grande Marche » sur la capitale, les avocats ont finalement obtenu ce qu’ils voulaient, grâce à un soutien massif de la population –qui vénère les juges depuis qu’ils se sont opposés à l’arbitraire des militaires- et de la Ligue Musulmane de Nawaz Sharif, rejetée dans l’opposition.

 

Devant l’immense mobilisation populaire, Zardari a du céder, et rétablir le président de la Cour Suprême Iftikhar Chaudry dans ses fonctions. S’en suivirent des fêtes un peu partout dans le pays, démontrant s’il en était besoin l’impopularité croissante du gouvernement, quelques mois à peine après qu’un même élan populaire l’a amené au pouvoir !!!

 

 

 

Tout cela pourrait rester de l’ordre de l’anecdote si les militaires n’en avaient pas profité pour rétablir toute son influence et se remettre au centre du jeu politique !

 

En effet, à partir du moment où les manifestations ont pris une certaine ampleur, le président Zardari a tenté de faire appel à l’armée ; la même armée qu’il avait renversée six mois plus tôt ! Loin d’intervenir, les militaires ont ordonné à Zardari de céder aux manifestants !

 

Bref par cet appel désespéré et déçu, Zardari a dilapidé le peu d’autorité qui lui restait, en montrant que le pays n’était qu’en ordre que par la seule bonne volonté des militaires, ces derniers ayant été bien aidés par les manifestations des juges et de la Ligue Musulmane de Nawaz Sharif, qui eux aussi les combattaient six mois auparavant…

 

 

Il n’aura donc fallu qu’un bon semestre pour que l’armée se repositionne au cœur du pouvoir, et c’est avec cette donnée que les nouveaux plans d’Obama vont devoir traiter. Si Washington pensait collaborer avec une démocratie rétablie, c’est raté, car l’apparente légalité du pouvoir à Islamabad cache bien mal ce retour de la force. Or les Américains et l’Otan se méfient fort de celle-ci, à juste titre !

 

L’armée pakistanaise est obsédée par l’Inde et cherche en permanence à assurer ses arrières. Or jouer les troubles fêtes en Afghanistan  lui semble être le meilleur moyen de ne pas être pris en tenaille par New Delhi qui a les faveurs de Kaboul. Cette méfiance hystérique envers l’Inde pousse les militaires à adopter des stratégies on ne peut plus ambigües et contradictoires envers les territoires islamistes qui soutiennent les Talibans en Afghanistan. Car ces mêmes islamistes peuvent se révéler d’une « aide » précieuse pour déstabiliser les Indiens, comme les derniers attentats de Bombay l’ont tragiquement démontré.

 

Là se trouve le problème majeur du Pakistan : personne ne sait vraiment les intentions de l’armée ni la situation des rapports de force au sein de l’Etat major entre les pro et les anti islamistes, à supposer que ce clivage soit déjà si prégnant. L’inquiétude se porte notamment sur l’attitude des services secrets militaires, Etat dans l’Etat qui échappait même à Muscharraf.

 

Depuis la démission de Muscharraf en 2007, le chef de l’armée est Ashfaq Kayani, ancien dirigeant des services secrets. Cette promotion montre à elle seule l’influence décisive de cette section sur le reste de l’Etat major, sans toutefois garantir son unité.

 

Tant qu’il est contenu dans des proportions acceptables, le terrorisme est considéré par une grande partie de l’armée comme un allié utile pour parasiter le pouvoir politique civil pakistanais et surtout pour attaquer l’Inde triomphante.

 

Il n’est pas étonnant que les premières grandes faiblesses du pouvoir civil pakistanais se soient manifestées après les attentats de Bombay, commis bien évidemment par des Pakistanais, avec l’aide de membres des services secrets pakistanais –ce qui ne veut pas dire de l’armée…

 

Contraint par les Etats-Unis, le pouvoir civil a finalement du plier l’échine devant les exigences légitimes quoique maladroites de l’Inde pour que le Pakistan reconnaisse sa responsabilité et aide l’enquête. Il faut rappeler que nous avons évité d’extrême justesse un conflit très grave entre les deux pays à cause de ces attentats, et rien n’indique d’ailleurs que le risque ait bien disparu.

 

Ce mea culpa du gouvernement Zardari a été vécu comme une véritable humiliation par les Pakistanais, et le bref état de grâce qu’avait pu connaitre le pouvoir civil de Zardari s’est effondré. Les militaires ont alors repris conscience qu’ils restaient pour la population la seule autorité de dernier recours face à « l’arrogance indienne » et donc les seuls à tenir réellement les rênes de tout le jeu politique.

 

Zardari avait pourtant essayé de gagner du temps, en tentant de se débarrasser de quelques ennemis islamistes. Il avait ainsi donné des gages scandaleux à ceux-ci dans plusieurs zones tribales du Waziristân, ainsi que dans la célèbre vallée du Swat, désormais gouvernée par la Charia avec une maigre compensation : une soit disant garantie que les écoles pour filles seraient maintenues ouvertes, engagement de suite oublié. Les promesses n’engageant que ceux qui les croient, surtout avec les fanatiques et les mafieux.

 

Bref, cette tentative vaine de gagner du temps contre les militaires à n’importe quel prix–et notamment une subvention directe de 6 millions de dollars versés de fait aux terroristes !!- n’a servi à rien, sinon à le décrédibiliser totalement. De fait les Pakistanais, à chaque fois qu’ils ont pu voter librement, ont rejeté massivement les partis Islamistes, et la majorité acquise par le PPP de Zardari, formation laïque de gauche, en était d’ailleurs la meilleure illustration.

 

Par ses louvoiements grotesques et opportunistes envers les fanatiques et les mafieux, Zardari montrait là aussi que le pouvoir civil était bien faible. L’armée quant à elle, droite dans ses bottes et respectant les formes institutionnelles, remontait son prestige.

 

Nawaz Sharif le savait bien, et comme il n’est aucunement animé par le sens de l’Etat, il n’a pas hésité à mener sa misérable « grande marche » bidon avec les avocats échaudés par le maintient du limogeage du juge Iftikhar Chaudhry.

 

Au final, ces six mois de gouvernement de Zardari n’auront été qu’une succession d’échecs et de débandade : devant les islamistes, devant l’Inde, devant les manifestants, devant les militaires. Bref, un fiasco total du pouvoir civil dans une lutte fratricide qui, dans ses principes politiciens médiocres, n’est pas sans rappeler l’imbroglio de la Révolution Orange ukrainienne, toute comparaison s’arrêtant la.

 

 

 

Une fois encore, tout cela ne pourrait être qu’une mésaventure politicienne sans grande importance si le résultat n’était pas un affaiblissement toujours plus grand du Pakistan, en permanence au bord du chaos le plus total. Situation d’autant plus dangereuse qu’elle va gêner tous les efforts de l’OTAN, guidé à nouveau par Obama pour réorganiser la guerre en Afghanistan, qu’il faut impérativement gagner.

 

Si on ne peut que souhaiter un rétablissement de la crédibilité du pouvoir civil au Pakistan, il serait sot de ne pas s’assurer que les militaires à nouveau au centre du pouvoir ne joueront pas un peu plus en notre faveur. Il faut donc les pousser à jouer un peu franc jeu sur la scène politique pakistanaise et arriver à établir un équilibre entre pouvoir civil et militaire. Cet équilibre sera bien sûr fragile et précaire. Gageons qu’il sera en tout cas moins chaotique.

 

Bref, Obama s’est engagé dans un plan ambitieux pour l’Afghanistan, espérons que son audace ne va pas voler en éclat devant l’incurie du Pakistan.

 

 

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One Comment sur “La nouvelle stratégie d’Obama face à la victoire subtile et obscure des militaires au Pakistan.”

  1. Soleilloh Says:

    Hi,

    a great analyse on pak’s intern politics. Good work.


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