Il y a des anecdotes qui offrent parfois des résumés cocasses des situations les plus complexes. Le New York Times a révélé il y a quelques jours, que le secrétaire américain à l’économie Henry Paulson s’était agenouillé devant la speaker démocrate de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi à la fin des négociations sur son gigantesque plan de sauvetage, afin de l’implorer d’accepter ses propositions. Un petit air de Canossa donc, avec des Empereurs de Wall Street plus que pénitents devant le Saint Père qu’il avait maudit, l’Etat.
Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques mois, que ce représentant éminent de la finance d’affaires new yorkaise, ancien ponte de Goldman Sachs, dont le dernier salaire annuel était de 23 millions de dollars, trainerait aux pieds du pouvoir politique, qui plus est interventionniste. On savait que les financiers avaient peu de principes, et encore moins d’honneur, mais on ne les savait pas prêts à l’exposer au grand jour…
Nul doute qu’à ce moment précis, Nancy Pelosi avait en mémoire l’infinie arrogance de tous ces hommes qui, depuis trente ans, se paraient de toute la vanité que confèrent les illusions d’un pouvoir qui ne rend de comptes qu’à ceux qui l’exercent. Ce pouvoir s’est envolé avec l’effondrement de leurs certitudes. Les voila, à nouveau, incapables de dompter les rouages bancales d’une machine incontrôlable. Les voici, rampant, gémissant, à quémander les grâces des autorités qu’ils avaient reniées, combattues, moquées, et si souvent condamnées.
Piètre jouissance régalienne cependant face aux responsabilités que vont devoir une nouvelle fois exercer les hommes politiques pour laver les dérives de la finance d’affaires, que tous connaissaient sans oser les combattre.
Même si demeure le risque d’une réaction en chaine qui toucherait la Chine de plein fouet, et abattrait le dollar, via la chute des bons du trésor que Pékin détient en masse, la crise financière semble annoncer moins d’implications économiques que de conséquences morales et historiques. L’économie réelle étant dans une santé tout à fait honorable, la crise de son financement, parce qu’elle est bien gérée, ne devraient pas affecter durablement les populations et les traumatiser comme l’avait fait la crise de 1929, même si certaines familles, notamment aux Etats-Unis subissent violement les conséquences de l’incurie et de l’avidité des rats qui ont sévi dans les bourses mondiales.
La gravité de cette crise relève moins des faillites techniques et des insuffisances des instances régulatrices que de l’incompétence scandaleuse des dirigeants financiers et de l’aveuglement ahurissant, sinon frauduleux, des opérateurs. Elle révèle surtout la très inquiétante irresponsabilité politique et sociale qui préside depuis la chute du communisme au sein des élites économiques. Ces comportements terrifiants ne peuvent ni ne doivent être sans suite, sans quoi ils provoqueront à terme une rupture douloureuse de l’alliance tacite entre les élites et les classes moyennes, socle fondamental de la démocratie libérale et du progrès social.
Je ne vais pas revenir sur le déroulement de la crise des Subprimes, mais plutôt sur ces fondements et les dérives qu’ils illustrent. De fait, puisqu’il est acté que les Etats s’engageront à régler les problèmes à venir, l’ampleur des dommages que la crise va provoquer compte désormais moins que le prix que vont exiger ceux-ci pour les onéreux crédits qu’ils vont fournir aux banques. Il faut qu’il soit juste, sévère et constructif. Il faut qu’il soit élevé, et qu’il ne soit qu’un moyen de parvenir à une remise à plat ambitieuse des organisations économiques internationales. En bref, il faut que les Etats profitent de la faiblesse et des divisions passagères de la finance pour retrouver une marge de manœuvre efficiente et surtout visible.
Cette crise est unique et déterminante parce qu’elle arrive à un moment où les puissances mondiales actuelles et à venir doivent engager un revirement considérable au sein du capitalisme libéral dans la façon dont nous produisons les richesses, développons nos économies, répartissons les revenus. Il faut que les Etats regagnent une visibilité et une capacité d’action qui rassurent des populations perdues face à des processus qu’elles ne comprennent pas, et séduites de fait facilement par les discours simplistes des populistes et des extrémistes.
Les commentateurs ont souvent rapproché les difficultés actuelles de la crise de 1929. C’est je pense, une erreur fondamentale qui ne peut s’expliquer que par les effets médiatiques que ses auteurs espèrent. Il n’y a rien de commun entre le monde de 1929 et le notre, et dès lors, rien ne rapproche ces deux crises.
En 1929, le microcosme de la finance était largement cantonné aux Etats-Unis et à l’Angleterre, dans une moindre mesure la France et l’Allemagne. Ces pays qui possédaient des instances régulatrices très faibles, voire inexistantes, coopéraient extrêmement peu entre eux, ce qui explique pour une grande part les proportions prises par la crise. Les fonds en circulation, même en valeurs constantes, ne représentaient qu’une infinie partie des échanges actuels. Surtout, si la crise financière reposait sur une panique conjoncturelle, elle reflétait aussi des difficultés structurelles profondes d’une économie réelle sur productive. La bulle spéculative cachait bien d’autres problèmes. La crise de 29 était avant tout celle d’un nouveau système économique qui se mettait péniblement en place.
La situation n’a rien de comparable aujourd’hui, ne serait ce que parce que les Etats ont appris à juguler les krachs et à sauver le système financier de lui-même. Si les méthodes de 29 avaient été appliquées à la crise de 2007, les années 30 auraient l’air prospère par rapport aux nôtres !
On ne peut en aucune façon comparer le système de la finance contemporaine qui gère près de 300 000 milliards de dollars d’échanges par an, avec son lointain ancêtre. Il ne partage rien. Sa technicité, sa complexité, son rôle ont considérablement progressé. En économie, qui a la mémoire très courte, on ne peut jamais remonter très loin. Celle ci évolue avec le monde, le reflète autant qu’elle l’influence. Ses racines se renouvellent sans cesse et ne sont jamais très profondes. Elle est constituée de cycles, qui se suivent rigoureusement plus qu’ils ne s’emboitent et la rapidité de ce phénomène s’amplifie à mesure que la mondialisation, synonyme de changements constants et rapides, s’intensifie. Rien de bien orignal dans mes propos, mais il est toujours intéressant de constater que certains oublient aussi vite et aussi régulièrement de si simples préceptes.
L’économie est un phénix bien dur à suivre, si dur que toutes les tentatives des théoriciens trouvent toujours de cruelles limites. Les principes conducteurs et systémiques sont fort peu nombreux, parfois bien vagues alors les théories économiques « clés en main » ne sont jamais valables plus que quelques décennies : le Keynésianisme avait fonctionné pendant trois/quatre décades, voila que les théories de Friedman, si prometteuses et sures d’elles même viennent elles aussi de s’abattre après…trente ans…
Les économistes sont de bien étranges scientifiques, toujours prompts à diligenter de sages conseils quand ils sont incapables de se mettre d’accord sur quoi que ce soit, et préfèrent expliquer les crises plutôt que de réfléchir à leur incapacité à les prévoir. On ne peut théoriser l’imprévisible, et aucun modèle mathématique ne pourra jamais résumer le monde en quelques courbes. Attention, je ne condamne pas les sciences économiques, mais je constate juste, une fois de plus, que ses prétentions doivent rester raisonnables. Elles offrent un cadre conceptuel, des grilles de lecture et de solide principes, mais ne permettent ni certitudes outrancières ni vision à long terme.
Cette crise était annoncée depuis longtemps. Je me souviens très bien avoir lu ces dernières années de nombreux articles alarmistes sur les risques encourus par les créances pléthoriques plus que douteuses des banques et des mouvements spéculateurs reposant sur des produits d’une complexité ahurissante, sur les déséquilibres du marché monétaire et le fossé toujours plus grand qui se creusait entre l’économe réelle et les marchés.
Des personnalités peuvent bien ici ou là affirmer qu’elles avaient tout prévu avant tout le monde, le problème n’est pas là. Le problème est que malgré les nombreuses voix discordantes de gens sérieux et informés –j’exclus par là les divers fanatiques anti-capitalistes qui racontent la même chose depuis qu’ils existent- étaient étouffées par le surmoi idéologique qui dominait et aveuglait l’ensemble des élites mondiales : les lois du marché, telles que les concevaient les héritiers de l’Ecole de Chicago régleraient d’elles mêmes, bien mieux que les Etats, tous les déséquilibres et emballements.
Ils n’ont pas tort, le souci demeurant que leur fameuse main est tellement invisible qu’elle n’équilibre jamais autrement que par un krach. On pourrait effectivement laisser alors le marché assainir tout le système par des faillites en cascade et une violente crise, mais les sciences économiques oublient qu’il ne suffit pas de faire se croiser deux courbes merdiques et d’équilibrer des équations à la con pour gérer des nations. Penser que les lois du marché sont invariablement régulatrices revient à raisonner dans un monde où l’économie serait un objet autonome, déconnecté de toute réalité et de toute conséquence, qu’on peut détruire des richesses, des entreprises, des emplois, des savoir faire et briser les vies de millions de gens sans que cela porte à conséquence, puisque seul « l’équilibre » de leur modèle idolâtré n’a de sens. On ne voit pas très bien alors où est « l’intérêt commun » assuré par ce soit disant équilibre.
Cette pensée a une fois de plus montré son ineptie, non seulement parce qu’elle échoue à faire fonctionner l’économie, mais aussi parce qu’elle est tout simplement inapplicable aux réalités et aux nécessités.
Cependant, je ne pense pas que Milton Friedman soit le grand méchant loup responsable de tous les malheurs actuels. Ce serait trop facile. La pensée de l’Ecole de Chicago a été utilisée par des gens qui se fichaient pas mal de sa véracité. Ils ne voyaient que les libertés fabuleuses et l’absence totale de scrupule que de tels postulats leur offraient. En protégeant l’ensemble de leurs actes et de leurs intentions sous le couvert de respectables professeurs, ils assuraient leurs petits intérêts et leur enrichissement apparemment sans limite, sans se soucier aucunement des conséquences de leurs actes qui, comme le disaient tous ces éminents professeurs bien plus intelligents et prévoyants qu’eux, ne pouvaient que profiter « à terme » (engagement non contractuel…) à toute la société dont pourtant ils se moquent royalement.
Les responsables de cette crise sont très facilement identifiables. Ce sont ceux qui ont réalisé des bonus « historiques » depuis trente ans, particulièrement ces cinq dernières années et qui, parce qu’il régnait sur deux écrans de PC en haut d’une tour de la City, se prenaient pour les rois du monde…
Ils sont facilement identifiables aussi car ce sont eux qui viennent gémir aux pieds des politiques et rapporter leurs malheurs dans la presse, en essayant de se faire passer pour des victimes d’un système qu’ils ne maitrisaient pas. C’est évident qu’ils ne la maitrisaient pas, mais tout aussi évident qu’ils profitaient allégrement d’un généreux bordel qu’ils avaient mis en place et entretenaient. Je n’ai pas entendu beaucoup de plaintes quand ils engendraient les bénéfices juteux de produits risqués, à l’image des assurances sur les créances risquées dont les montants ont été multiplié par 41 en cinq ans…
Ces personnes n’ont aucun honneur, elles n’en ont jamais eu. Elles sont aussi promptes à empocher les dividendes de leurs magouilles qu’à rejeter toutes responsabilités dans leurs conceptions. Vous comprenez, la crise est due au vilain M. Greenspan, vous savez, celui qu’ils ont béni pendant tant d’années, qui a mis tout plein d’argent à disposition, aux gouvernants qui leur ont donné des libertés, et aux régulateurs qui leur ont fait confiance. Je n’ai pas souvenance qu’offrir des opportunités et des libertés, qui plus est à des gens issus des plus grandes institutions mondiales, reviennent à cautionner les délits et les crimes. Ce n’est pas parce que l’Etat n’enchaine pas chaque citoyen à son domicile qu’il cautionne les actes qui en découlent !
Bien sur, certaines lois sont erronées, certaines institutions ont mal fait leur travail. Mais le tour de passe-passe des financiers consistant à faire basculer toute leur responsabilité sur les pouvoirs publics ne marchera pas ! Ce sont eux, l’ensemble des dirigeants, une bonne partie des opérateurs qui ont mis en place, cautionné et profité d’un système véreux, scandaleux, qui sont entièrement redevables de la situation et qui doivent rendre des comptes.
Le comportement de la finance, par delà sa cupidité essentielle, ce que je ne lui reproche pas du tout puisque c’est un moteur dont nous pouvons tous profiter, a été caractérisé par une totale immoralité et plus grave, par une totale incompétence.
Qu’est ce que la crise des Subprimes, sinon la première crise spéculative fondée sur la pauvreté ! J’aborderai plus tard des caractéristiques techniques du système, mais il faut d’abord revenir à l’origine, et l’origine c’est que les banques américaines, à la recherche de nouvelles sources de revenu sont allées chercher des clients non solvables pour leur refourguer un prêt dont elles avaient parfaitement conscience qu’il était plus que risqué –le terme même de Subprime indiquant un taux supérieur rétribuant les risques encourus par le prêteur face à un client peu solvable- en pensant que la hausse de l’immobilier durerait vingt ou trente ans et permettrait de couvrir les créances des mauvais payeurs… Ces banques ont profité honteusement de la situation précaire de pauvres gens, en leur mentant, en les fourvoyant, en leur faisant miroiter l’accession à la propriété, en leur faisant signer des contrats scandaleux à taux variable. Qui peut croire une minute que les gens qui ont signé de tels contrats comprenaient le système mortifère dans lequel ils s’engageaient, étaient au courant des subtilités de la politique monétaire de la FED ! Les banquiers eux, le savaient très bien. Je précise de suite, que je ne blâme pas les banquiers des agences qui ne font que respecter des ordres ; ce sont les donneurs d’ordre, qui savent très bien ce qu’ils font, qui sont responsables. Ils ont jetés des centaines de milliers de familles dans des situations inextricables. Je tiens d’ailleurs à signaler que des pratiques semblables ne touchent pas seulement l’immobilier. En France, les agences de crédit n’ont aucun scrupule à verser à une famille en leur racontant une bonne litanie de bobards, jusqu’à 70 000 euros en une seule journée, sans que celle-ci n’ait à justifier de sa solvabilité …
On pourra m’objecter que les financiers ne sont pas des assistantes sociales…de là à flirter avec des comportements délictuels, sinon criminels, il y a quand même un monde, et, à ce que je sache, les financiers sont des hommes soumis aux mêmes exigences citoyennes que tout autre…passons cependant cet aspect moral, pour se concentrer sur l’incompétence.
Il y a un élément assez peu commenté dans la presse et qui est pourtant fondamental. Ce qu’on a appelé la financiarisation de l’économie a eu pour moteur principal, par delà les opportunités fabuleuses de la mondialisation, la mise en place de nouveaux outils comptables et produits financiers d’une complexité inouïe, basés sur des modèles mathématiques que seuls des génies et des doctorants peuvent comprendre. Tous nos petits golden boys ne sont pas des spécialistes de l’économie qu’ils n’ont étudié qu’en passant. Ce sont des ingénieurs et/ou des mathématiciens, à la rigueur des élèves du type HEC particulièrement doués en maths.
Plusieurs problèmes majeurs sont alors apparus. Tout d’abord, ces modèles mathématiques, malgré leur complexité ne valent pas grand choses, et toutes les prétentions du « langage du Dieu » ne pourront jamais intégrer l’ensemble des variables, en tout cas pour l’instant, de notre beau monde ! Il est difficile de modéliser, entre autres, l’irrationnel qui caractérise une économie faite d’hommes ! Surtout, les concepteurs de ces modèles sont sourds à toute critique et j’ai encore en mémoire l’interview d’une professeure de Polytechnique s’engageant sur la perfection de ces produits… Le hasard a fait que le Monde a réinterrogé aujourd’hui même cette professeur, qui feint de découvrir qu’ils peuvent être mal utilisés…
Par ailleurs, même si ces modèles avaient été valables, ils garderaient leur défaut principal, celui de n’être compris que par une infime minorité d’opérateurs…Dès lors, la finance se rallie à des opinions qu’elle ne comprend pas, dont elle ne peut juger les fondements.
On a notamment pu constater un fossé générationnel gigantesque qui s’est creusé entre les directions des banques, dont les membres sont âgés, et les différents « office », toujours plus jeunes à mesure qu’on monte dans la hiérarchie du trading… Conséquence, une confiance aveugle de la direction envers les nouvelles recrues, des chèques en blanc sur des prises de risque considérables, une absence totale de stratégie à long terme autre que « Enrichissez nous ! »… En somme, un management incompétent et des opérateurs déconnectés du quotidien, tout juste vissés à leur écran, prisme déformant d’une réalité qu’ils méprisent.
Une preuve parmi d’autres, car je ne me permettrais pas de citer l’affaire Kerviel : n’avez-vous pas remarqué que les pourfendeurs de la finance actuelle sont des vieux roublards qui n’entendaient rien, et bien leur en a pris, aux modèles proposés : Warren Buffet, George Soros, Felix Rohatyn…
D’une manière générale, j’espère que l’une des conséquences de la crise sera le refoulement des mathématiques dans leur rôle légitime et merveilleux, et qu’on cessera de nous les présenter comme l’Alpha et l’Omega de toute science, de toute pensée, de toute intelligence, de toute performance.
Se pose ensuite le problème majeur de la titrisation. L’apparition de ce type d’opération dans les années 80 confirme que la finance n’a plus rien à voir avec celle de 1929 ! Pour faire simple, et parce que je n’ai de toute façon sans doute pas tout compris, la titrisation permet de rendre liquide (c’est-à-dire de convertir en agent frais) des actifs qui ne le sont pas comme…des créances ! Par l’intermédiaire d’une société créée ad hoc, vous pouvez transformer des créances en titres vendus comme des obligations sur le marché, ce qui permet aux organismes préteurs de dégager de nouveaux fonds à investir/prêter quitte à sacrifier les fonds propres. Le problème majeur est que les créances perdent en clarté et que l’opacité engendrée crée des risques et de l’incertitude. Par ailleurs, les multiples complexités qui ont été imaginées à partir de la titrisation, notamment sur la gestion des risques liés aux créances cédées et sur les possibilités de rachat parallèle des dits créances par des filiales de banques émettrices, ont rendu le système illisible –à l’image de cette phrase ! On comprend aisément dès lors, qu’un vent de panique permette de briser tout l’édifice.
Certaines normes comptables ont par ailleurs entretenu les illusions. De toute façon, le fait qu’il existe plusieurs normes comptables sur lesquelles on peut jouer selon les pays est un scandale en soi qui met en lumière qu’on s’intéresse moins aux résultats réels des entreprises qu’à la meilleure façon de les présenter ! Comment mentir avec le plus d’élégance possible en quelque sorte. Ainsi, les normes IFRS valables dans une bonne partie de l’Europe imposent d’indiquer la valeur du marché des actifs. Gage plus que douteux de leur véracité !
Enfin je ferais un simple commentaire sur la spéculation. Il est grand temps qu’on se penche sur son cas et qu’on se mette d’accord sur une définition exacte qui différencierait définitivement la manipulation du marché des mouvements stabilisateurs et des placements à risque. On pourrait ainsi l’interdire une bonne fois pour toute. On se moque totalement des soit disant risques de tarissement des liquidités. Au contraire, moins de liquidités sera un gage d’investissements qualitatifs et réfléchis, attachés aux réalités économiques. Par ailleurs, cette interdiction correspondrait parfaitement au virage qu’il faut prendre, j’y reviendrais. La spéculation fait des ravages depuis que l’économie monétaire existe, il serait temps de faire quelque chose !
Voila quelques causes techniques, je pense, de la crise actuelle. Mais son moteur principal est ailleurs et réside dans la faillite totale de la responsabilité des élites économiques, qui n’est d’ailleurs pas limitée à la finance même si c’est elle qui a contaminé les décideurs.
La majorité des financiers, et j’exonère nombre d’entre eux qui comme par hasard sont souvent de grands philanthropes tels Warren Buffet et George Soros, n’ont aucun autre but que leur pomme et l’acquisition de leu prochaine Lamborghini.
Qu’on ne me dise pas que le profit a toujours été le seul moteur de l’économie et des entrepreneurs. C’est faux et malhonnête. Bien entendu, on ne fonde pas une entreprise pou perdre de l’argent, mais les dirigeants d’entreprise sont aussi des personnes qui peuvent avoir des ambitions autres pour leur entreprise : créer et initier des projets, construire et prospérer, représenter des valeurs, devenir leader sur d’autres domaines que la rentabilité, faire œuvre sociale, être écologiquement responsable, etc. Autant d’éléments qui sont par ailleurs cumulables. Nombres d’entreprises étaient prêtes à sacrifier une part de profit, certes toujours minime, et c’est bien normal, pour améliorer la condition de leurs employés, financer des projets philanthropiques. Ces objectifs n’ont heureusement pas disparu et derrière la myriade de campagnes marketing, il y a de nombreux dirigeants qui ont une politique entrepreneuriale qui a volontairement d’autres buts que la maximisation absolue du profit.
J’aimerais revenir sur ce dernier élément. Cela fait quelques années qu’une minorité de sociétés financières, notamment les fameux Hedge Funds, nous enfument allégrement en ayant réussi à confondre la recherche du profit, moteur même du capitalisme, avec une vison spoliatrice qui vise non pas à mettre en place des entreprises profitables sur le moyen et long terme, mais à réaliser le plus de bénéfice possible sur le court, voire très court terme. Il y a la, un dévoiement gravissime du capitalisme particulièrement dangereux.
En effet, le système capitalisme est admirable en ce qu’il permet de satisfaire à la fois les intérêts privés, par le profit, et le bien commun, en fournissant du travail, en produisant des richesses dont la société bénéficie largement. Le problème des Hedge Funds, c’est qu’ils oublient la deuxième partie du deal capitaliste en se contentant d’empocher la monnaie.
Ce comportement a une responsabilité directe dans la crise. En restreignant la progression des salaires, la finance a encouragé le recours toujours plus excessif à l’emprunt et au crédit. Une fois de plus, on a spéculé sur la pauvreté, ou en tout cas, le tarissement du pouvoir d’achat.
Devant les exigences irresponsables de certains investisseurs, trop de grandes entreprises ne respectent plus rien, même pas leurs promesses, même plus le travail de leurs employés. Je suis le premier à demander une modernisation du marché du travail français. Mais les méthodes de chantage qui sont de plus en plus souvent utilisées, et surtout, le mépris de la parole donnée sont le signe effroyable d’une séparation définitive des cadres dirigeants d’avec leur base. Les entreprises n’ont jamais été un lieu d’amour et d’idylle, et n’ont pas à l’être, mais il y avait un esprit de corps, un respect mutuel minimal, la sensation d‘être sur le même navire dans la majorité des entreprises, et il ne suffit pas d’afficher un slogan « corporate » bon marché pour instaurer un tel souffle. Quand on ferme des usines auxquelles on avait promis, contre des objectifs de performances atteints de donner du travail, on ment, on ne respecte rien et on mérite d’être envoyé en prison. Personne ne les avait obligés à raconter leurs bobards. Lorsqu’on menace directement, sans considération des ouvriers de les licencier s’ils n’acceptent pas sans condition un ultimatum, c’est du simple chantage et ca se paie.
Surtout, il faut que les dirigeants réapprennent à assumer leurs devoirs. Quand on fait un plan social, on vient le présenter et le justifier soi même devant les employés. Lorsqu’on fait face à de mauvaises performances, on baisse aussi sa rémunération, et inversement, on n’augmente pas les seuls cadres quand tout va bien. Il est assez intéressant de constater qu’on conçoit que les performances des grandes entreprises sont avant tout liées au management –ce qui est vrai- mais que l’on fait payer les difficultés à la base… Etrange syllogisme !
La pression d’actionnaires mal intentionnés est la cause principale de ce changement de management. La rémunération des dividendes représentent en France, en 2007, 13% de la masse salarial contre moins de 5% il y a vingt ans… Cette politique met en péril aussi bien les capacités d’investissement des entreprises, leur trésorerie que leur politique sociale. La mondialisation profite trop peu aux classes moyennes occidentales qui constatent tune enchérissement phénoménal des élites alors que leurs ressources, tout en s’améliorant, semble stagner. Cette perception –car c’est la perception qui compte malheureusement- est dangereuse car frustrante et incompréhensible par la population. Elle est par railleurs, largement injuste.
Il est assez difficile de justifier l’aide massive apportée au système financier autrement que par une froide nécessité. Les peuples demandent que des têtes tombent, et ils ont raison. Il faut briser le petit microcosme des élites qui s’entraident continuellement entre elles et ne rendent jamais de compte sur leur gestion, puisque même quand ils sont remerciés, ils empochent de gentilles compensations… et sont réembauchés ailleurs par leur anciens copains de promo.
La situation est d’autant plus absurde et difficile à justifier que les banques entretiennent elle même le risque de contagion à l’économie réelle en restreignant l’accès au crédit, même quand celui-ci est valable et justifié ! Elles se désengagent donc de leur rôle économique essentiel. Drôle de façon de montrer leur responsabilité et leur reconnaissance envers les contribuables !
On peut bien me traiter d’hystérique ou de naïf, je m’estime bien plus clairvoyant que tous les gugusses qui sont rivés à leurs statistiques, en maquillant leur cynisme par un prétendu rationalisme. Le divorce dramatique qui s’opère entre les entreprises et le peuple, entre les élites économiques, les dirigeants et les classes moyennes est absolument dramatique pour la simple et bonne raison qu’il remet en cause le fondement de la démocratie mais aussi la légitimité de l’ordre social.
Les classes dirigeantes ne sont pas à leur place par la grâce de Dieu, je tiens à le rappeler. Il ne faudrait que quelques jours pour que la population les enferme, les dépouille, et bien pire. On pourrait rire de ce petit scénario catastrophe si cela ne s’était pas passé plusieurs fois et pour de très bonnes raisons. Qui pourrait blâmer les Russes, les Chinois d’avoir voulu se débarrasser d’élites qui ne s’occupaient aucunement de leur sort, et qui au contraire montrer au jour le jour leur incurie. Je pourrais prendre nombre d’exemples historiques où les élites ont été renversées quand elles n’occupaient pas leur rôle, et à chaque fois, elles ne voyaient pas le coup venir !
Il faut justifier sa place, il faut justifier ses revenus et son confort. Il ne suffit pas de se pavaner à la télé sur un Yacht devant des millions de gens qui ne partent pas en vacances sans croire que cela a des répercussions psychologiques profondes. On peut rêver sur une actrice richissime qui ne fait rien d’autre que de divertir les gens, en revanche on hait facilement un patron qui a licencié la veille le voisin et qui semble ne pas s’en préoccuper.
Certes, la classe moyenne profite bien du système, je n’annonce pas une révolution ! Mais elle se sent lésée, et les retournements sont rapides. Le système mis en place pendant les Trente Glorieuses est à bout de souffle. Devant ce fait, les élites dirigeantes ont profité de la chute du communisme pour se dégager de toute responsabilité, croyant que la disparition de modèles alternatifs lui laissait le champ libre.
Or, on sous estime la colère qui se propage devant la crise. Je vous le dis de suite, elle était là bien avant, elle sera la, encore plus forte bien après. Viendra, sans doute plus vite que l’on ne croit, le moment où les populistes dépasseront régulièrement les 20%, score qui annonce pourtant déjà une crise civilisationelle profonde.
Le cas des Etats Unis est particulièrement éloquent. Le bipartisme protège le pays des candidats extrémistes. Bien leur en fasse, car les candidats doivent faire preuve d’un tel populisme, d’un tel rejet des élites et du système dans leurs discours qu’un candidat extrémiste qui aurait la puissance financière d’un parti prendrait sur le champ le pouvoir, j’en mets ma main à couper.
Je pourrais parler longtemps de la crise des élites et du divorce qui s’opère entre les classes, qui, mes amis le savent, est une de mes certitudes et un des enjeux majeurs de notre civilisation. Mais je reviens sur la crise même.
Je ne sais pas encore si on assiste à un changement mondial de politique économique. Le rejet du plan Paulson par la chambre des Représentants montrent qu’une bonne partie des dirigeants ont encore du mal à admettre la faillite de leurs thèses idolâtres. Par ailleurs, on a un peu vite transformé les interventions étatiques en socialisme et en nationalisation. Il faut rappeler que ces mesures sont temporaires et quelles visent toutes, à moyen voire à court terme, à enrichir in fine l’Etat qui revendra ses engagements. C’est d’ailleurs heureux, et prouvent que les gouvernants savent manier au mieux les intérêts communs, un peu, toutes proportions gardées, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy avec Alstom.
Je suis réservé aussi, car la faillite des banques et le renflouement par l’Etat n’est pas nouveau. Reagan avait bien payé des dizaines de milliards de dollar au nom du Banking Act rooseveltien pour sauver le système… et conclure que l’Etat devait se désengager !
Surtout, il ne faut pas faire preuve d’une trop grande naïveté quand aux motivations des interventions américains. Bien entendu, le sauvetage du système financier était primordial, mais le gouvernement américain a eu aussi très peur que les fonds souverains de certains pays pue recommandables, par exemple, la Chine, la Russie, profite d’une occasion inespérée de mettre la main sur la finance la plus puissante du monde. Une fois encore, notre bonne amie la géo politique est un élément peu pris en compte par les modèles mathématiques !
J’espère cependant que les puissances vont réussir à organiser une vraie concertation. Il est évident que toute mesure nationale et même régionale n’aurait aucun effet. Les Socialistes français sont justes ridicules quand ils prétendent que le gouvernement pourrait agir réellement sur la crise. Cela prouve au choix, leur mauvaise foi, ou leur stupidité.
Il y a vraiment une occasion historique, et nécessaire, à saisir. Sachant que ces vingt dernières années ont été celles des occasions ratées, j’espère qu’on va enfin passer à autre chose.
En effet, la réorganisation totale des organisations financières mondiales pourrait être le premier pas vers une restructuration ambitieuse des économies vers le développement durable. Si les Etats démontraient qu’ils arrivaient à nouveau à coopérer pour le bien commun sur les sujets financiers, ils ouvriraient la voie à la gestion trop retardée des impératifs écologiques qui ne peut avoir comme cadre qu’n système bancaire responsable et entreprenant. On a surtout démontré que les gouvernements avaient de nombreuses ressources financières, ou au moins fiduciaires, à leur portée en cas de nécessité. Quelle autre plus grande nécessité que celle de lancer le plus vite possible la quatrième et radicale révolution industrielle ?
Le capitalisme n’est ni bon ni mauvais, il est juste profondément humain, et en cela admirablement efficace. Il tire sa force et son efficacité de sa capacité parfaite à laisser l’homme agir à sa guise, à s’adapter sans cesse à son contexte par sa totale plasticité, à reproduire les intérêts privés et les comportements des hommes, leur génie et leurs insuffisances, leur prévoyance et leurs illusions. C’est à l’Etat qui essaie tant bien que mal de trouver un bien commun, de donner un horizon précis et des limites qui, à défaut d’être étroites, doivent être claires.
J’ai conscience d’avoir été très virulent dans ce billet. Pourtant, je suis un farouche défenseur du capitalisme libéral. C’est d’ailleurs la raison essentielle de ma violence car je pense sincèrement que celui-ci, depuis vingt ans, se met en danger, et qu’une réforme drastique est nécessaire pour qu’il permette à nouveau à l’humanité de s’épanouir pleinement.
L’économie a deux impératifs a géré, celui de réconcilier les populations autour d’un système profitable au maximum, celui de se convertir au développement durable.
Ces deux défis nécessitent un encadrement musclé et efficace de l’Etat, ne serait ce que parce qu’ils exigent une coordination. Le retour de l’Etat qui s’annonce vient donc à point nommé.
L’économie n’a pas de but en elle-même autre que la production de richesse. Les libéraux font donc une erreur terrible quand ils assurent qu’elle permet le bien commun. Celui-ci ne peut être assuré que par les Etats. Il est grand temps que ces derniers s’organisent, ou plutôt qu’à leur tour, ils se mondialisent.
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