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La nouvelle stratégie d’Obama face à la victoire subtile et obscure des militaires au Pakistan.

mars 29, 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annoncée d’une manière on ne peut plus claire pendant la campagne présidentielle, la nouvelle stratégie que Barack Obama a présentée vendredi marque un tournant décisif pour la stabilisation de l’Afghanistan.

 

Loin d’être le pacifiste béat que certains gauchistes européens auraient voulu voir en lui, Barack Obama prouve par cette nouvelle initiative que, si sa présidence sera dominée par la gestion de la crise économique, son action diplomatique et militaire demeurera au moins tout aussi ambitieuse que celle de son prédécesseur ; la pertinence, l’efficacité et l’intelligence en plus, ce qui n’est pas si mal.

 

Le ton et la mise en scène figuraient bien une déclaration de guerre. De fait, fièrement entouré de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton et de son secrétaire à la guerre Robert Gates, Obama a lancé une nouvelle, et pourquoi pas finale, stratégie contre les bastions d’Al-Qaeda et des nébuleuses mafio-islamistes pakistano-afghanes, communément appelées les talibans.

 

 

Par delà un renforcement des troupes indispensable –et qui devrait être suivi de renforts de l’Otan pour peu que les Européens montrent un brin de courage et de détermination- les nouveaux plans militaires américains vont s’insérer dans une stratégie diplomatique régionale. Celle-ci vise d’une part à diviser les groupes talibans en séparant les fanatiques irrécupérables des « nationalistes » motivés par l’appât du gain facile, et d’autre part à renforcer son soutien financier au Pakistan dans sa propre lutte contre le terrorisme, sous réserve de résultats. Ce dernier élément implique par ailleurs une possibilité d’intervention directe en cas d’échec d’Islamabad.

Il s’agit par ailleurs de se concilier une bonne fois pour toute sur ce dossier les bonnes grâces de l’Inde, de la Chine et de la Russie, et de l’Iran, dernier élément qui n’est pas étranger à la danse du ventre que l’administration commence à esquisser devant Téhéran.

 

L’erreur principale du gouvernement Bush en Afghanistan avait consisté à croire qu’une victoire militaire fulgurante suivie d’une vague reconstruction nationale suffiraient à faire disparaitre les Talibans qui, après tout, n’étaient que des pouilleux enturbannés. Une sous-estimation d’autant plus troublante que les Américains avaient admiré leur résistance inouïe face à l’invasion soviétique. Sans doute pensaient-ils qu’ils susciteraient bien d’autres sentiments que les Soviétiques, illusion vite dissipée par le rapide reprise des offensives de guérilla des Talibans depuis leurs havres pakistanais puis de leurs bastion sur le sol même de l’Afghanistan.

 

Ayant établi un calendrier précis pour le retrait du délire irakien, Obama a bien vu qu’il devait concentrer ses forces sur l’Afghanistan et le Pakistan pour stabiliser enfin ces deux pays et surtout liquider une bonne fois pour toute, sinon Al-Qaeda, au moins le cœur de ses forces.

 

Une fois encore, le destin de l’Afghanistan et du Pakistan apparaissent bien mêlés l’un à l’autre, et cette réalité géopolitique va enfin être prise en compte par Washington. En investissant un représentant, Richard Holbrooke, chargé spécialement de la région, Obama avait montré dès la première semaine de son mandat, que sa vision politique était au combien plus affinée et pertinente que celle de son prédécesseur. M. Holbrooke s’était immédiatement employé à sillonner la région, pour préparer tout le petit monde des dirigeants de Kaboul et d’Islamabad à accepter que les choses allaient devenir un brin plus sérieux.

 

Après quelques semaines de réflexion, menées notamment avec l’aide du sénateur John Kerry, les Américains viennent de décider de subventionner massivement la lutte du Pakistan contre le terrorisme avec près d’un milliard de dollars par an supplémentaire. Or, si cette stratégie est de loin la plus adaptée à la situation –l’OTAN ne pouvant pas pénétrer en terre pakistanaise sans provoquer un mouvement d’union nationale qui amènerait la population à soutenir les islamistes-, elle n’est pas sans risque puisque l’utilisation de ces sommes importantes n’est pas du tout assurée, aux vues des échecs successifs et de la mauvaise gouvernance dont a fait preuve le gouvernement d’Asif Al-Zardari, le président du Pakistan, veuf de Benazir Bhutto.

 

En effet, loin d’être redevenu un Etat de droit exemplaire depuis la chute de Muscharraf, le Pakistan est proche de l’ingouvernabilité après un conflit politique extrêmement grave qui, sous couvert d’un prétendu renouveau démocratique, a totalement discrédité le pouvoir civil en place et remis les militaires au cœur des luttes d’influence. Les derniers jours ont permis la conclusion de cet enième conflit entre les parties de la coalition civile qui avait renversé le général Pervez Muscharraf l’année dernière et qui est aujourd’hui totalement éclatée et fratricide –comme prévu.

 

 

L‘alliance opportuniste entre le Parti Populaire Pakistanais (PPP) de Zardari et de feu la bégum Bhutto, force laïque de gauche du pays, et la Ligue Musulmane, de droite, de Nawaz Sharif ne pouvaient pas tenir. Clientélistes et arrivistes, les leaders civils pakistanais avaient bâti leur coalition sur le rejet de Muscharraf et leur soutien providentiel à ce fameux mouvement de protestation qu’avaient entamé certains juges et avocats après le limogeage du président de la Cour Suprême Iftikhar Chaudry.

 

Or une fois le pouvoir acquis, cette même coalition n’avait aucunement l’intention de remettre ce juge en place pour la simple et bonne raison qu’il était en charge des dossiers de corruption qui visait à juste titre aussi bien Zardari, « mister 5% », que Sharif…

 

Les élections ayant porté le PPP au gouvernement avec une majorité claire au détriment de la Ligue Musulmane, Nawaz Sharif a vite été marginalisé et même mis en cause judiciairement par les juges qu’avait choisis le nouveau président Zardari…

 

A partir de cette décision dramatique et politicarde de Zardari, la précaire coalition civile était balayée et l’instabilité pouvait redevenir la norme entre les quatre pouvoirs  présents au Pakistan : les politiciens civils, désormais divisés, le pouvoir judicaire émietté entre les déçus de la restauration démocratique et les créatures du nouveau gouvernement, l’Armée, mise de coté par la chute de Muscharraf, et les Islamistes, qui tiennent le tiers nord ouest du pays.

 

A l’instant où Zardari avait viré Nawaz Sharif et oublié d’honorer ses promesses envers le pouvoir judicaire, il soudait contre lui ces deux acteurs politiques, qui rejoignaient de fait les ennemis naturels du pouvoir civil, les militaires et les islamistes, qui par chance sont eux aussi divisés.

 

Et il  n’aura pas fallu longtemps pour que les avocats et les juges reprennent leur mouvement, et mènent à cette semaine inouïe de troubles, couronnée par une reddition totale du gouvernement de Zardari !

 

Après des jours de manifestation et une « Grande Marche » sur la capitale, les avocats ont finalement obtenu ce qu’ils voulaient, grâce à un soutien massif de la population –qui vénère les juges depuis qu’ils se sont opposés à l’arbitraire des militaires- et de la Ligue Musulmane de Nawaz Sharif, rejetée dans l’opposition.

 

Devant l’immense mobilisation populaire, Zardari a du céder, et rétablir le président de la Cour Suprême Iftikhar Chaudry dans ses fonctions. S’en suivirent des fêtes un peu partout dans le pays, démontrant s’il en était besoin l’impopularité croissante du gouvernement, quelques mois à peine après qu’un même élan populaire l’a amené au pouvoir !!!

 

 

 

Tout cela pourrait rester de l’ordre de l’anecdote si les militaires n’en avaient pas profité pour rétablir toute son influence et se remettre au centre du jeu politique !

 

En effet, à partir du moment où les manifestations ont pris une certaine ampleur, le président Zardari a tenté de faire appel à l’armée ; la même armée qu’il avait renversée six mois plus tôt ! Loin d’intervenir, les militaires ont ordonné à Zardari de céder aux manifestants !

 

Bref par cet appel désespéré et déçu, Zardari a dilapidé le peu d’autorité qui lui restait, en montrant que le pays n’était qu’en ordre que par la seule bonne volonté des militaires, ces derniers ayant été bien aidés par les manifestations des juges et de la Ligue Musulmane de Nawaz Sharif, qui eux aussi les combattaient six mois auparavant…

 

 

Il n’aura donc fallu qu’un bon semestre pour que l’armée se repositionne au cœur du pouvoir, et c’est avec cette donnée que les nouveaux plans d’Obama vont devoir traiter. Si Washington pensait collaborer avec une démocratie rétablie, c’est raté, car l’apparente légalité du pouvoir à Islamabad cache bien mal ce retour de la force. Or les Américains et l’Otan se méfient fort de celle-ci, à juste titre !

 

L’armée pakistanaise est obsédée par l’Inde et cherche en permanence à assurer ses arrières. Or jouer les troubles fêtes en Afghanistan  lui semble être le meilleur moyen de ne pas être pris en tenaille par New Delhi qui a les faveurs de Kaboul. Cette méfiance hystérique envers l’Inde pousse les militaires à adopter des stratégies on ne peut plus ambigües et contradictoires envers les territoires islamistes qui soutiennent les Talibans en Afghanistan. Car ces mêmes islamistes peuvent se révéler d’une « aide » précieuse pour déstabiliser les Indiens, comme les derniers attentats de Bombay l’ont tragiquement démontré.

 

Là se trouve le problème majeur du Pakistan : personne ne sait vraiment les intentions de l’armée ni la situation des rapports de force au sein de l’Etat major entre les pro et les anti islamistes, à supposer que ce clivage soit déjà si prégnant. L’inquiétude se porte notamment sur l’attitude des services secrets militaires, Etat dans l’Etat qui échappait même à Muscharraf.

 

Depuis la démission de Muscharraf en 2007, le chef de l’armée est Ashfaq Kayani, ancien dirigeant des services secrets. Cette promotion montre à elle seule l’influence décisive de cette section sur le reste de l’Etat major, sans toutefois garantir son unité.

 

Tant qu’il est contenu dans des proportions acceptables, le terrorisme est considéré par une grande partie de l’armée comme un allié utile pour parasiter le pouvoir politique civil pakistanais et surtout pour attaquer l’Inde triomphante.

 

Il n’est pas étonnant que les premières grandes faiblesses du pouvoir civil pakistanais se soient manifestées après les attentats de Bombay, commis bien évidemment par des Pakistanais, avec l’aide de membres des services secrets pakistanais –ce qui ne veut pas dire de l’armée…

 

Contraint par les Etats-Unis, le pouvoir civil a finalement du plier l’échine devant les exigences légitimes quoique maladroites de l’Inde pour que le Pakistan reconnaisse sa responsabilité et aide l’enquête. Il faut rappeler que nous avons évité d’extrême justesse un conflit très grave entre les deux pays à cause de ces attentats, et rien n’indique d’ailleurs que le risque ait bien disparu.

 

Ce mea culpa du gouvernement Zardari a été vécu comme une véritable humiliation par les Pakistanais, et le bref état de grâce qu’avait pu connaitre le pouvoir civil de Zardari s’est effondré. Les militaires ont alors repris conscience qu’ils restaient pour la population la seule autorité de dernier recours face à « l’arrogance indienne » et donc les seuls à tenir réellement les rênes de tout le jeu politique.

 

Zardari avait pourtant essayé de gagner du temps, en tentant de se débarrasser de quelques ennemis islamistes. Il avait ainsi donné des gages scandaleux à ceux-ci dans plusieurs zones tribales du Waziristân, ainsi que dans la célèbre vallée du Swat, désormais gouvernée par la Charia avec une maigre compensation : une soit disant garantie que les écoles pour filles seraient maintenues ouvertes, engagement de suite oublié. Les promesses n’engageant que ceux qui les croient, surtout avec les fanatiques et les mafieux.

 

Bref, cette tentative vaine de gagner du temps contre les militaires à n’importe quel prix–et notamment une subvention directe de 6 millions de dollars versés de fait aux terroristes !!- n’a servi à rien, sinon à le décrédibiliser totalement. De fait les Pakistanais, à chaque fois qu’ils ont pu voter librement, ont rejeté massivement les partis Islamistes, et la majorité acquise par le PPP de Zardari, formation laïque de gauche, en était d’ailleurs la meilleure illustration.

 

Par ses louvoiements grotesques et opportunistes envers les fanatiques et les mafieux, Zardari montrait là aussi que le pouvoir civil était bien faible. L’armée quant à elle, droite dans ses bottes et respectant les formes institutionnelles, remontait son prestige.

 

Nawaz Sharif le savait bien, et comme il n’est aucunement animé par le sens de l’Etat, il n’a pas hésité à mener sa misérable « grande marche » bidon avec les avocats échaudés par le maintient du limogeage du juge Iftikhar Chaudhry.

 

Au final, ces six mois de gouvernement de Zardari n’auront été qu’une succession d’échecs et de débandade : devant les islamistes, devant l’Inde, devant les manifestants, devant les militaires. Bref, un fiasco total du pouvoir civil dans une lutte fratricide qui, dans ses principes politiciens médiocres, n’est pas sans rappeler l’imbroglio de la Révolution Orange ukrainienne, toute comparaison s’arrêtant la.

 

 

 

Une fois encore, tout cela ne pourrait être qu’une mésaventure politicienne sans grande importance si le résultat n’était pas un affaiblissement toujours plus grand du Pakistan, en permanence au bord du chaos le plus total. Situation d’autant plus dangereuse qu’elle va gêner tous les efforts de l’OTAN, guidé à nouveau par Obama pour réorganiser la guerre en Afghanistan, qu’il faut impérativement gagner.

 

Si on ne peut que souhaiter un rétablissement de la crédibilité du pouvoir civil au Pakistan, il serait sot de ne pas s’assurer que les militaires à nouveau au centre du pouvoir ne joueront pas un peu plus en notre faveur. Il faut donc les pousser à jouer un peu franc jeu sur la scène politique pakistanaise et arriver à établir un équilibre entre pouvoir civil et militaire. Cet équilibre sera bien sûr fragile et précaire. Gageons qu’il sera en tout cas moins chaotique.

 

Bref, Obama s’est engagé dans un plan ambitieux pour l’Afghanistan, espérons que son audace ne va pas voler en éclat devant l’incurie du Pakistan.

 

 

Ces jours les plus longs… Ce jour si dangereux…

octobre 19, 2008

 

J’aimerais, comme l’écrasante majorité des Européens que l’élection américaine se tienne demain, et voit la victoire par KO de Barack Obama sur le ticket républicain.

 

Malheureusement, la route est encore longue jusqu’au scrutin, et chaque jour à venir sera plus difficile à affronter que le précédent pour les challengers démocrates. Alors que le dernier débat a opposé Barack Obama et John McCain mercredi dernier, force est de constater que le  vieux Maverick n’a pas dit son dernier mot, dans une atmosphère politique de plus en plus malsaine, polluée par les soupçons de fraudes électorales, qui sont bien moins dus à des malversations qu’à des problèmes techniques qui vont encore embrouiller le scrutin du 4 novembre.

 

Je dois reconnaitre que j’avais sous estimé McCain, une erreur que j’avais pourtant essayé d’écarter systématiquement depuis que j’ai commencé ce blog. Pourtant, j’ai été trop sensible à l’euphorie qui a emporté, encore, les partisans de Barack Obama. Il y avait de quoi, avec le ralliement de tous les grands quotidiens, du soutien de l’ancien secretaire d’Etat républicain Colin Powell, des sondages qui annonçaient une avance de 10/14 points au niveau national, des bastions républicains qui se teintaient de bleu… Rien ne semblait pouvoir endiguer les vagues déclenchées par le tsunami financier.

 

Las. En politique, rien n’est jamais acquis, et voila que John McCain a su saisir l’occasion de son dernier débat pour se remettre dans la course. Bien entendu, Barack Obama continue à mener dans les intentions de vote, mais il ne monopolise plus le débat comme il était parvenu à le faire depuis les errements de McCain sur la crise et les interventions pitoyables de Sarah Palin.

 

Mon erreur avait été de croire que le cadre étriqué du débat télévisé ne permettrait pas aux candidats de faire la différence. Je n’avais pas totalement tort, mais suffisamment pour ne pas avoir prévu l’habilité tactique de John McCain qui a su être efficacement offensif pendant la première partie des échanges. En fait, la force de McCain n’a pas été de « gagner le débat », car les conditions de l’exercice ne le permettaient effectivement pas. En revanche, il a su placer deux éléments qui depuis,  servent d’angles d’attaque.

 

Le sénateur de l’Arizona a réussi à se redifférencier de George W. Bush, tout en recentrant son propos sur la prétendue rigueur fiscale de son programme, comparé aux projets soi-disant dispendieux et « socialistes » de son adversaire.

 

Une seule phrase, a suffit à John McCain pour rappeler au pays qu’il n’était ni un successeur ni un ami de George W. Bus. La plus simple qu’il soit : « Je ne suis pas George Bush. Si vous vouliez mener une campagne contre lui, il fallait vous présenter avant. »

 

Je persiste et signe à dire que le parti démocrate se trompe en cherchant à faire croire que John McCain est un héritier de George Bush. C’est faux et difficilement falsifiable. Car si la campagne républicaine a échoué sur bien des sujets, elle a réussi à imposer la personnalité indépendante du sénateur de l’Arizona, renforcée par la présence de Sarah Palin. Ce comportement intellectuellement paresseux d’un parti qui a pour mascotte bien choisie un âne, est une erreur potentiellement dramatique, car elle ne peut pas atteindre réellement sa cible.

 

Ce qu’il faut faire contre McCain, et c’est ce que Barack Obama avait fait depuis le début de la crise, c’est insister sur le fait que McCain n’est pas hériter de George Bush, mais insensible à la réalité de l’Américain moyen et prisonnier d’un dogme économique qui l’empêche de trouver de solutions innovantes. Il s’agit en fait de contourner son statut de Maverick et non de l’affronter de plein fouet. Il est inutile d’attaquer une forteresse de front avec des flèches grossières ; mieux vaut saper lentement et surement ses murs. Les Américains n’ont pas besoin qu’on agite l’épouvantail de George Bush. De toute façon, les gens ne votent jamais sur un bilan ; ils vont de l’avant. Il faut donc proposer un projet sexy et ne pas se contenter de rabâcher les échecs de quelqu’un qui ne se représente pas !

 

Je dois dire cependant que cette stratégie inefficace est moins le fait d’Obama que des caciques du parti Démocrate qui sont, s’ils faillaient encore le prouver, une bande de gros nazes, lâches, médiocres et fainéants. John McCain a d’ailleurs le même problème avec son propre parti.

 

De toute façon, trop souvent, les partis sont moins les lieux de réflexion et d’initiatives qu’ils devraient être, que des planques de gros cons et de notables gras qui attendent qu’un leader plus inspiré et ambitieux qu’eux vienne leur apporter la victoire. Ils ont généralement la mémoire courte et la trahison facile, mais ca n’est pas le problème.

 

Le deuxième angle d’attaque ouvert par McCain est la rigueur fiscale. Agiter la muleta des hausses d’impôt est l’arme favorite, et malicieusement efficace, des Républicains pour convaincre les électeurs indépendants de ne pas voter pour des Démocrates, réputés dispendieux dans l’inconscient collectif.

 

Le ticket Républicain avait eu du mal à user de cette petite marotte pour le moment car Obama avait réussi à se positionner comme l’homme qui allait baisser les impôts de la classe moyenne, ce qui est vrai d’ailleurs.

 

Vint « Joe  le plombier » et sa petite entreprise au chiffre d’affaire de 278 000 dollars, promise à une hausse d’impôt de trois points dans le projet Démocrate. Cet Américain « moyen » patibulaire -qui s’est ensuite avéré être un escroc du nom de Samuel, passons- a été la vedette du dernier débat présidentiel. Je crois que son nom est revenu plus de vingt fois, d’abord dans la bouche de McCain, puis d’Obama.

 

Tout avait commencé lors d’une séance de porte à porte filmée d’Obama dans l’Ohio, Etat clé du scrutin. « Joe » se pointe et interpelle le sénateur de l’Illinois pour savoir s’il va devoir payer plus d’impôt. Obama fait d’abord l’erreur de répondre à coté, en parlant de son crédit d’impôt de 50 000 dollars sur les assurances santé que peuvent offrir les PME à leurs salariés. Ce n’est pas le sujet et le plombier, en citoyen sûr de son bon droit, réitère sa question. Le sénateur de l’Illinois est bien obligé de dire qu’il va augmenter le taux d’imposition, mais n’a pas le temps d’expliquer sa position. « Joe » a déjà repris la parole et s’indigne qu’il doive payer plus parce qu’il réussit à force de travail et de labeur. Vient la gaffe d’Obama qui dit vouloir « répartir les richesses ».

 

Bam ! Des semaines de travail pour rien. Barack Obama venait d’offrir à ses adversaires le plus beau des cadeaux : le soupçon socialiste ! Cela fait des mois que les militants Républicains répandent des théories ordurières parlant d’un « agenda caché » de Barack Obama, tantôt suppôt d’Al Qaeda, tantôt communiste défroqué. Ces théories ont un réel écho dans les classes moyennes très mal informées des Etats-Unis. Surtout, elles s’appuient sur un défaut réel du candidat démocrate, à savoir le  recentrage drastique de son discours qui semble parfois peu sincère. C’est un fait que Barack Obama est en réalité bien plus « à gauche », « liberal » pour reprendre un terme anglo-saxon, qu’il ne l’affiche vraiment. Avouer au détour d’un débat « vrai » qu’il veut répartir les richesses est donc particulièrement dangereux. McCain le sait et ne parle plus que de ca. « Les socialistes européens ont au moins le mérite d’afficher clairement leurs pensées »… Attaque malhonnête, pernicieuse mais potentiellement dévastatrice.

 

Ce recentrage de John McCain sur les faiblesses d’Obama est d’autant plus efficace qu’il arrive après une série d’interventions du candidat républicain visant à pacifier les débats et à se désolidariser des attaques nauséabondes dont Obama était la victime.

 

La semaine dernière, en plein meeting, McCain a rembarré une pauvre conne qui prétendait avoir « peur de Barack Hussein Obama qui serait musulman «  et un beauf qui avait sorti le même genre d’imbécilité. Immédiatement, le sénateur a défendu son collègue, « un bon père de famille » et « un homme qui serait un bon président » même si bien entendu, lui-même sera bien meilleur… Hués des supporters, défiance du parti. On pensait que McCain avait accepté l’idée d’avoir perdu.

 

C’était faux. John McCain en avait juste assez de s’abaisser, et tenait à son intégrité. Je continue à dire, et je ne suis pas tenu au politiquent correct des politiques américains,  que McCain est un homme exceptionnel, et l’un des meilleurs hommes d’Etat américain. Cette intervention était spontanée et non stratégique comme ne témoigne la gaffe qu’il a faite le lendemain en disant qu’il allait « fouetter le vous savez quoi d’Obama » pendant le débat…

 

En revanche, c’était une bonne intuition. En bannissant les rumeurs foireuses de sa campagne, il pouvait se consacrer sur la plus crédible et la plus dangereuse : le fait que Barack Obama serait un dangereux socialiste !

 

Voila comment on transforme une intervention honorable en magouille politique, et voici Sarah Palin, l’exécutante des basses œuvres, qui repart à l’assaut contre les communistes ! Je tiens aussi à signaler que le gouverneur de l’Alaska a bien changé en quelques semaines. Toujours aussi stupide et populiste, mais beaucoup plus discrète et subtile. McCain l’a en fait confinée dans son rôle : mobiliser la base quand il s’occupe des électeurs indépendants, ceux qui ressemblent à « Joe le plombier » ceux qu’il regarde droit dans le yeux a travers la caméra.

 

 

Heureusement pour lui, Obama a bien compris le danger et est redevenu offensif et percutant. Joe Biden semble aussi reprendre des couleurs dans es meeting de la Rust Belt, tandis que la dynastie Clinton s’engage de plus en plus.

 

Surtout, le sénateur de l’Illinois a cessé de dire à tout le monde qu’il allait gagner quoiqu’il arrive. Ceux qui sont fidèles à mes petites chroniques devineront que j’ai beaucoup ri quand je l’ai entendu dire qu’il « avait appris une grande leçon de la part de son amie et supportrice Hillary Clinton : il faut se battre jusqu’au bout, aller chercher chaque voix ».  C’était effectivement la leçon principale qu’avait donnée Clinton, en l’oubliant au début des Primaires avant d’en inspirer désespérément. La bataille politique n’est jamais gagnée, Obama l’avait trop longtemps oublié.

 

Une fois encore, je le rappelle, l’objet de l’élection n’est pas de mener à l’échelle nationale. Il faut conquérir le maximum d’Etats importants et leurs grands électeurs, les fameux « swing states » qui changent régulièrement de couleur politique –Ohio, Michigan, Pennsylvanie, Missouri, Floride, Nouveau Mexique, Nevada, New Hampshire, Iowa, Virginie Occidentale- mais aussi des bastions Républicains qui pourraient finalement basculés –Colorado, Virginie, Indiana, Caroline du Nord, Montana, Dakota du Nord.

 

Pour l’instant, le parti Républicain se trouve en fort mauvaise posture car ses terres sont en danger. En effet, jamais l’Etat major du G.O.P n’avait pensé que la Virginie et la Caroline du Nord seraient si sérieusement menacées. Devant le manque de fonds –une première-, McCain a du abandonner le Michigan, qui aurait pu voter pour lui, pour se concentrer sur ces Etats traditionnellement sudistes mais qui ont connu depuis vingt ans, pareillement à la transition de l’économie, une immigration d’ingénieurs et d’informaticiens venus du nord. Combinée au vote Noir, cette nouvelle tendance pourrait changer la donne.

 

Cependant l’avance d’Obama est faible. Si pour les raisons que j’ai expliquées plus haut, si la mobilisation des Noirs et des jeunes n’était pas à la hauteur, si le racisme s’exprimait dans l’isoloir, alors Caroline du Nord, Virginie, Ohio, Missouri, Nevada, Colorado, Floride reviendront très facilement dans le giron Républicain. Surprise, McCain sera président.

 

 

Je m’explique. Une fois encore, les Démocrates sont challengers pour l’élection présidentielle américaine. Il leur faut conquérir des Etas jusqu’alors dominés par les Républicains. Bien entendu, les élections générales de 2006 ont déjà montré des fissures profondes et les Démocrates ont connu d’impressionnâtes inscriptions de nouveaux électeurs sur les listes. Mais ces électeurs sont fragiles. Le 4 novembre ne sera pas férié. C’est un élément profondément injuste, qui explique une grande partie de l’abstention massive que connait le pays. Rien ne dit que les pauvres et les classes moyennes auront l’opportunité de prendre le temps de s’y rendre, rien ne dit que les Noirs se mobiliseront. Enfin, comment ne pas craindre que certains électeurs, qui ne s’expriment pas dans las sondages, ne veulent en fait pas voter pour un Noir.

 

 Je crois très modérément au fameux « effet Bradley » qui suppose une très importante différence entre les intentions de vote envers un Noir, et le scrutin final. En effet, déclarer qu’on va voter Républicain dans un sondage n’indique pas qu’on soit raciste, et un raciste honteux peut très bien dire qu’il va voter McCain sans avouer que c’est parce qu’il refuse de voir un Noir à la Maison Blanche. Donc, je ne vois pas pourquoi un raciste mentirait. Pourtant, la crainte resta là.

 

Ainsi, l’avance, inférieure de six points, dans la plupart des Etats clés, est bien maigre.

 

 

Plus inquiétant,  il est très possible que les Etats Unis nous refassent le coup de l’élection de George W. Bush. A savoir que d’une  part, le président élu peut être celui qui n’a pas réuni le plus de voix, et que d’autre part, l’élection doive être départagée par la Cours Suprême du fait d’irrégularités.

 

En 2002, la loi Help America Votes a cherché à moderniser les procédures affolantes du scrutin pour éviter les litiges, assainir les liste électorales.

 

Le problème majeur du système électoral américain est qu’il est à la fois simpliste et complexe… En fait, il est totalement arriéré et laissé à la discrétion des Etats, voire des comtés, c’est-à-dire, aux cliques politiciennes locales qui ont tout à gagner à son opacité, notamment en zone rurale !

 

Les listes électorales sont tenues avec une légèreté affolante. On peut tout aussi bien les soumettre à des purges surprises –on ne sait alors même pas qu’on est radié…- qu’à des inscriptions massives frauduleuses –cf. la polémique sur l’association gauchiste pro Obama Acorn dont les militants, rémunérés au chiffre, ont parfois enregistré plusieurs dizaines de fois un électeur… La raison en est fort simple : il n’existe pas de carte d’identité aux Etats-Unis… Et comme tous les citoyens n’ont pas de passeport, de carte de sécurité sociale ou de permis de conduire, c’est le flou absolu.

 

Pire encore, certains Américains sont tout simplement interdits de vote. Je reviens sur le fait que le 4 novembre n’est pas férié. Déjà, je me demande encore pourquoi le scrutin ne se tient pas un dimanche –est ce pour des raisons religieuses stupides ? En tout cas, nombres de gens ne pourront pas voter à cause de cette absurdité, soit parce qu’ils n’auront pas le temps ou les moyens, soit parce que l’affluence sera si grande avant et après le boulot, ou à la pause déjeuner, que les électeurs seront découragés. C’est déjà ce qu’il s’est passé en 2004.

 

Par ailleurs, plusieurs Etats demandent une pièce d’identité avec photo pour voter…Ceux qui n’ont donc pas de permis de conduire ni de passeport seront écartés. C’est tout bonnement scandaleux et très dangereux pour les Démocrates. Qui n’a pas les moyens de prendre un jour de congé ? Qui n’a pas de passeports ou de permis de conduire ? Surement pas les mères de foyer dévotes débiles qui n’ont rien à foutre de la journée ou les gros beaufs nationalistes !

 

Enfin, le système de vote reste parfaitement grotesque. Le 4 novembre, il ne faudra pas seulement voter pour élire le président… Il faudra élire le gouverneur, parfois un sénateur, souvent choisir le procureur du coin ou le directeur de l’école d’à coté, se prononcer sur plusieurs référendums locaux. En gros, il ne s’agit pas de poser un petit bulletin dans une urne comme en France. Même pas plusieurs, car les Américains ont imaginé tout un tas de système abracadabrantesques et absurdes.

 

Vous avez les leviers, les pédales, et les fameuses cartes à poinçonner. C’est long, compliqué -les votes involontaires et/ou erronés sont légions- et décourageant. Le vote informatique est pour l’instant un échec. En Floride, on a montré que les machines avaient « oublié » 100 000 votes, en Ohio que les votes pour le candidat A avaient été enregistrés pour le candidat B… Pourquoi les Américains ne font pas un système simple avec autant d’urnes que de questions posées ? Pourquoi ne multiplient ils pas les bureaux de vote, ou  n’allongent la durée du scrutin ? Mystère !

 

En fait, rien n’a été fait depuis huit ans, et en 2004 Kerry avait failli s’opposer au vote de l’Ohio. En 2006, les élections générales avaient été entachées de soupçons.

 

Les Etats-Unis sont une démocratie malade à bien des égards et paradoxalement, cela est essentiellement dû à son culte de la démocratie originelle, la constitution de 1787. Le vote indirect est le reliquat le plus absurde de ce culte. Ne serait il pas logique que les Etats-Unis, qui sont devenus une nation indivisible et uni votent à l’unisson pour leur président ?

 

Le culte de la Constitution est grotesque a bien des égards, et j’y reviendrai sans doute un jour dans un autre billet. Je voudrais me concentrer sur les signes qui m’ont frappés dans cette campagne.

 

Tout d’abord, il est affligeant de voir à quel point le débat est organisé par certains médias sans être régulé. Cet élément n’est pas propre aux Etats-Unis loin de là, mais il y est particulièrement alarmant même si les grands networks télévisuels ont fait de réels efforts cette année –prise de conscience post Irak.

 

Les candidats restent totalement à la merci des médias qui choisissent ce qu’ils entendent dans leurs discours, posent les questions croustillantes de merde, corsettent les débats, les étouffent. Pire encore, ce contrôle scandaleux n’est même pas compensé par une rigueur informative, et un candidat ou un journaliste peut raconter n’importe quoi à la téloche sans qu’un médiateur vienne rappeler des faits objectifs. La situation est d’autant plus choquante que les Etats-Unis possèdent l’une des meilleures presses du monde. Il serait bon que certains medias prennent exemple sur eux…

 

Le résultat de cette main mise absolu et terriblement médiocre des médias est un débat à la fois ordurier et pauvre.

 

Le fait que la campagne soit polluée par des polémiques diffamatoires n’est pas nouveau. En revanche, Obama aura vraiment été victime des accusations les plus graves et les moins fondées de l’histoire électorales des Etas Unis.

 

Mais ce qui m‘inquiète le plus, a été la pauvreté absolue des débats. J’aimerais quand même attirer  votre attention sur le fait que la campagne n’a en fait traité que de très peu de sujets ! De quoi a ton parlé ? De « la crise », du système d’assurance santé, de la politique étrangère (a savoir en gros l’Irak et Al Qaeda !), des « taxes », de l’indépendance énergétiques… On a un peu parlé, mais à un niveau minable, de l’Alena, d’avortement, de féminisme (grâce à Hillary et à cause de Palin), et de mariage gay, Obama a évoqué en passant l’Ecole et l’Université…

 

Qu’en était il de la recherche, des infrastructures, de ‘l’immigration et de la société multiculturelle à venir –ne serait ce que la question de l’Espagnol-, de la situation affolante de la criminalité –on a quand même eu un candidat afro-américain qui a à peine parlé des ghettos… J’en passe et des meilleurs. Affligeant, tout bonnement affligeant.

 

Un autre élément choquant est la mise à l’écart absolu des petits candidats. Attention, je ne dis pas qu’il faut les traiter à égalité, mais il est quand même purement scandaleux qu’aucun débat n’ait été organisé avec l’ensemble des candidats. C’est injuste et malsain. En effet, le système politique américain ne gagne rien à moisir dans le bipartisme et il serait bon qu’un débat pluraliste vienne foutre un peu le bordel, ou simplement briser certains consensus pas forcement justifiés !

 

Enfin, on ne pourra que déplorer le rôle de l’argent dans cette campagne, élément sur lequel je ne m’étalerai pas. Cependant, que penser d’une campagne qui est conditionnée par les ressources des candidats à ce point ? Que penser du fait qu’un candidat ne visite même pas tous les Etats du pays pour faire campagne, que certains Etats soient sacrifiés, non pas seulement à des fins stratégiques, mais financières ?

 

 

La situation de la démocratie américaine est d’autant plus insupportable qu’elle affiche aussi des signes de vitalité impressionnants. La mobilisation citoyenne, les inscriptions électorales ont enregistré des records. Certains médias ont fait de réels efforts journalistiques, je pense à CBS.

 

Surtout, les candidats ont montré à quel point ils étaient démocrates. On agite régulièrement la menace des méchants Républicains soi-disant dangereux et fascistes. On a dit que Sarah Palin était une néfaste intégriste… J’invite tous mes gentils lecteurs à aller voir les interventions de John McCain au diner de charité annuel de la fondation Al Smith, ainsi que la participation de Sarah Palin au show du Saturday Night Live. On réalisera à quel point les hommes politiques américains ne se prennent jamais trop au sérieux, ont de la distance sur eux-mêmes, et sont ouverts à la critique, au débat et à l’auto dérision. Quand on voit Sarah Palin qui pouffe de bon cœur devant les caricatures presque insultantes faites à son égard, qui danse sur un rap qui parodie ses idées, on se dit que vraiment, l’Amérique sera toujours le sanctuaire de la liberté et des modérés, par delà ses apparences populistes affligeantes.

  

Une campagne est un moment aussi décisif qu’intéressant en ce qu’elle décide de l’avenir d’un pays tout en donnant une vision on ne peut plus complète de sa société. La course pour la Maison Blanche est encore loin d’être jouée, mais elle apporte déjà nombre de leçons sur les Etats-Unis, démocratie à la fois resplendissante et très malmenée. Une chose est sûre en tout cas, quelque soit le résultat du scrutin, le président n’aura pas d’autre choix que d’engager un tournant historique ; gageons que même McCain sera capable de le faire.

 

http://www.nbc.com/Saturday_Night_Live/video/clips/gov-palin-cold-open/773761/

 

http://fr.youtube.com/watch?v=v5SWQJWm6Tg

 

http://fr.youtube.com/watch?v=ZhvK5dNSXow&feature=related

 

 

 

 

Mc Cain Krach !

octobre 9, 2008

« We have a big problem« , George Bush

 

 

Si son ampleur et ses conséquences sur le monde restent encore largement imprévisibles, la crise financière aura d’ores et déjà fait une victime politique collatérale : John Mc Cain. La côte du candidat républicain semble irrésistiblement liée à celle des indices boursiers, ce qui laisse présager de l’issue de ce scrutin !

 

Lors de mon dernier billet, il y a un mois, je laissais le ticket républicain emporté par l’enthousiasme de sa convention et le populisme efficace de Sarah Paulin. Les sondages ont d’ailleurs confirmé cette intuition : pour la première fois, John McCain semblait pouvoir remporter l’élection du 4 novembre quand son parti sombrait dans les limbes.

 

Mais voila que la crise que tout le monde attendait sans pouvoir la prévoir a frappé avec une violence inouïe les places financières mondiales, et a bouleversé le paysage économique américain, en mettant aussi bien à plat les performances et les valeurs que la nation affichait avec orgueil, qu’en révélant les fragilités sociales et structurelles d’un pays qui ne ressemble plus à ses rêves ni à ses idéaux.

 

J’avais insisté sur le fait que cette campagne allait signer l’arrêt de mort du reaganisme. Jamais je n’aurai pensé que le contexte confirmerait avec autant de véhémence cette évidence qui cependant restait encore fort subtile et très peu commentée avant les nouveaux déchainements de Wall Street.

 

Or il s’avère que si le sénateur de l’Arizona n’est pas reaganien, il appartient à un parti qui est l’incarnation absolue des doctrines et idéologies néo libérales de ce président mythifié, dont John McCain, par stratégie politicienne plus que par conviction, se réclame. Tristes tactique et héritage pour le candidat républicain qui vient de perdre toute chance de représenter ce qu’il est : la relève républicaine après vingt années de coalition reaganienne..

 

En effet, McCain aurait pu miser à fonds sur son personnage de Maverick, non pas comme une rengaine vide de sens à l’image de ce qu’il fait actuellement, mais en renversant totalement l’idéologie du Parti Républicain, pour retrouver l’essence du mouvement qui animait Abraham Lincoln et Ted Roosevelt, le véritable modèle du sénateur. Bien au contraire, acculé à séduire la base folle de son parti à l’aide de la turbulente Sarah Palin, il a perdu tout ce qu’il entendait amener de nouveau au pays et s’est retrouvé à défendre, assurer et à incarner une politique qui a mené à la crise des Subprimes.

 

Il est évident que John McCain n’a pas proposé de réponse suffisamment énergique à la crise, et en n’apportant aucune rupture évidente, celui qui se posait un rénovateur et pourfendeur du système est apparu en héritier et continuateur. Dès lors, le personnage portait sur lui le poids de ses années, et son expérience devenait bien oppressante.

 

Disons le clairement, depuis un mois, John McCain est tombé dans tous les pièges possibles et imaginables qu’il devait éviter, et le pire, c’est que c’est lui-même, et non pas Obama, qui les avait mis en place.

 

Jusqu’ici impeccable sur sa stratégie –la position du héros au parler vrai, attentif aux besoins du pays- John McCain a commis une série d’erreurs tout bonnement démentes ; tellement aberrantes que j’en viens à croire qu’il se saborde lui-même…

Comme bien souvent, la première faute fut le plus sévère. En annonçant à la surprise générale, la suspension de sa campagne électorale pour se consacrer à la gestion de la crise au Congrès, John McCain s’est totalement fourvoyé et ridiculisé. Cette péripétie prouve qu’en politique les bons sentiments sont rarement de bonnes idées. Je pense sincèrement que le sénateur de l’Arizona pensait faire son devoir en s’envolant pour Washington tout en confirmant sa posture d’homme d’Etat sacrificiel et responsable. Le problème est que, d’une part, sa méconnaissance de l’économie a rapidement mis en lumière que sa présence in extenso à Washington était inutile et grotesque, et que d’autre part, à l’ère de la communication et de l’ubiquité, se replier sur une seule tache que l’on n’est même pas capable d’assumer, décrédibilise ce fameux statut d’homme d’Etat. Enfin, il se comportait avec une arrogance certaine, en suspendant unilatéralement la campagne. Le résultat de cette mésaventure fut désastreuse : après 24h, McCain revenait dans la course comme si de rien était, et pire encore, il n’avait aucunement trouvé une solution miracle à la crise. Un coup pour rien, un coup foireux surtout.

 

Las, la série d’errements ne faisaient que commencer. De déclaration en déclaration, McCain se détachait de plus en plus des préoccupations du peuple, semblait soutenir les forts contre les faibles et les classes moyennes, ne proposait rien. En fait, John McCain montrait qu’il était désemparé, et de fait, il l’est encore, car le sénateur a bien trop d’expérience politique pour ne pas se rendre compte que sa campagne est en pleine débâcle. Pourtant, il est piégé, il s’est piégé, et ce piège a été refermé par les élus républicains du Congrès, récalcitrant à toute aide envers les victimes de « Main Street » qu’a faites Wall Street.

 

Le premier débat télévisé entre les deux candidats a révélé la position intenable du candidat républicain : il n’avait rien à dire, rien à proposer, sinon ses vieilles rengaines perpétuelles sur son statut de héros. Disons le clairement, les Américains commencent à en avoir plein le dos. A force de se poser en héros face à un monde corrompu, McCain prend surtout le risque de finir en victime d’un monde qu’il ne comprend plus.

 

L’illustre passé du sénateur avait permis jusqu’ici de faire oublier qu’il était un grand bourgeois bien loin du peuple. L’absence de réponse économique a rappelé aux victimes des Subprimes qu’il possédait sept maisons, aux habitants du Michigan qu’il avait des voitures japonaises, aux citoyens de l’Ohio que sa femme Cindy avait empoché des centaines de millions de dollars sur des restructurations d’entreprises.

 

Quand les journaux télévisés inondent le pays de nouvelles désastreuses, de faits divers sordides, allant de la malheureuse nonagénaire qui se suicide à la veille de la saisie de son domicile au père de famille ruiné qui assassine femme et enfants, il faut apparaitre un peu mobilisé par la question économique ou en tout cas, ne pas incarner le système qui vient de s’écrouler, le reaganisme ; rupture essentielle manquée, échec patent assuré.

 

Ce développement est particulièrement désespérant alors que Barak Obama ne fait pas grand chose pour écraser son adversaire et se laisse tranquillement couler vers une victoire que lui assurent les erreurs de son adversaire.

 

En effet, a-t-on entendu de grands discours inquisitoires et/ou incantatoires de Barack Obama sur la crise ? Non. Le candidat des présidentielles n’est décidemment plus celui des Primaires. Il est ennuyeux, assez plat, mais toujours brillant, confiant et efficace. Il sait surtout, incarner une alternative crédible et paisible, sur de lui et à l’écoute. Le deuxième débat a d’ailleurs montré une pédagogie exemplaire et une connaissance affutée des dossiers. Ce n’est plus l’Obama irradiant mais un candidat sage et mesuré. En fait, le candidat démocrate a décidé de ne prendre aucun risque : mieux veut assurer une victoire que risquer un triomphe manqué.

 

Obama n’a pas profité des deux débats pour mettre à terre son adversaire. Dans le premier échange, il s’est même laissé faire sans trop broncher. Il est vrai que le jeune sénateur ne veut pas passer pour un jeune premier arrogant face au vieux héros. Il a raison, John Mc Cain se retrouve alors obliger de tenir le rôle du papy docte qui emmerde tout le monde et fait des erreurs à force de « comprendre/savoir » quand Obama préfère avoir l’humilité de « penser/supposer ».

 

Obama ne gagne pas, il laisse Mc Cain perdre, stratégie politique qui peut paraitre la plus efficace en ce qu’elle est la plus prudente. A raison, car les Démocrates, et le ticket Obama/Biden en particulier, prennent toujours des risques à afficher leurs beaux idéaux dispendieux.

 

J’ai toujours pensé que l’économie, infiniment plus que l’Irak et les Relations Internationales, coulerait les Républicains. Je l’ai expliqué depuis le début maintenant lointain des primaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je soutenais Hillary Clinton, car la crise rappelons le, a bientôt déjà deux ans tandis que le malaise des classes moyennes est encore plus ancien. Ce n’était pas révolutionnaire mais avait le mérite de dénoncer l’obsession européenne de « l’enlisement irakien » et la vision internationale messianique du premier candidat afro American. Rappelons-le de suite : les Américains n’en ont jamais eu rien à faire, et de toute façon, ils donneront toujours la faveur aux Républicains, et à John McCain en particulier, sur ces domaines –les sondages sont encore très clairs à ce sujet. La question n’est pas de savoir si ces postulats des  citoyens américains sont justifiés, c’est une fois de plus, une question de perception d’une réalité pipeautée par les médias, de très mauvaises perceptions. En revanche, Barack Obama domine désormais de 20 points dans les sondages sur sa capacité à résoudre le crise. On peut donc dire, sauf retournement tout aussi violent, que l’élection est pliée.

 

C’est d’autant plus vrai que McCain n’a pas su profiter des débats pour se relancer. Bien sur, il en reste encore un, mais je doute qu’il soit très différent des deux premiers pour une très simple raison : le format même de ces interventions, corsetées et écrasées par des règles médiatiques étriquées et castratrices ne donnent aucune marge de manœuvre aux candidats. Franchement, on s’emmerde, et les candidats également. Restent les meetings et un mois d’interventions télévisées mais le krach du ticket républicain sera dur à arrêter.

 

McCain a d’ailleurs enterré sa campagne en annonçant, une fois encore  à la surprise générale, l’abandon de ses engagements dans le Michigan. Comment oser abandonner un état qui balançait encore pour lui il y a quelques semaines et qui représente EXACTEMENT tous les problèmes actuels auxquels doivent répondre le futur président ! Le candidat républicain a alors mis en lumière qu’il avait perdu le fil de la campagne. Surtout il a montré qu’un héros pouvait abandonner des victimes en chemin – le Michigan étant l’un des états les plus touchés par la reconversion industrielle.

 

En fait, je pense que c’est bien McCain qui est responsable de sa dégringolade dans les sondages et non pas Sarah Palin comme l’accusent beaucoup de médias. On surestime largement l’effet qu’ont les interviews pathétiques de Sarah Palin sur l’électeur moyen américain. Bush s’était tout autant ridiculisé en 2000 en affichant sa nullité absolue en diplomatie et son ignorance totale du monde. Il avait été élu. Pourquoi ? Parce que les Américains, pris par les erreurs grotesques des illusions démocratiques, veulent un politicien « qui leur ressemble » et pas quelqu’un « qui se croit plus malin qu’eux ». Je tiens à dire une bonne fois pour toute que de toute manière, les électeurs ont toujours une vision fort limitée de ce qu’on leur demande de juger : la majorité d’entre eux restent de pauvres beaufs incultes qui consacrent quelque minutes par jour à la politique, et quelle politique.

 

Par ailleurs, les médias s’acharnent sur Palin alors que Biden dit aussi nombre d’énormités. Il a ainsi déclaré que F.D. Roosevelt avait fait une allocution télévisée pendant la crise de 29 pour expliquer « ce qu’il se passait » aux Américains. Problème, Roosevelt, n’était pas président, et la télévision n’était qu’une bonne idée en devenir ! Il est aussi capable de déclarer que Clinton aurait été une meilleure vice président ; Belle preuve d’humilité –de réalisme- et de stupidité politiques. Enfin, le sénateur du Delaware a osé demander à un de ses collègues handicapé se déplaçant sur une chaise roulante de « se lever » pendant un meeting… Rien de bien glorieux pour la caution « expérience » du ticket démocrate.

 

Enfin la meilleure preuve que l’effet Sarah Palin a été fort limité repose sur le fait que c’est la coté de popularité de John McCain, ancien point fort du candidat –c’est-à-dire que bien que Républicain, son personnage de héros rencontrait l’adhésion des ¾ des Américains- qui s’est effondrée, pas celle de Palin. Au contraire, la gouverneur de l’Alaska continue de faire rentrer la monnaie et d’électriser les débiles religieux et réactionnaires qui polluent largement les Etats conservateurs. Sans elle, je suis persuadé que d’autres états pencheraient vers les Démocrates. De toute façon, les électeurs se prononcent avant tout pour un président, pas pour son colistier.

 

 

En quelques semaines, Mc Cain a perdu toute son avance dans L’Ohio, la Floride. Pire encore, il s’est écroulé en Virginie, en Caroline du Nord et dans le Missouri, autant d’Etats qui, voici trois mois, pensaient à peine imaginer Obama à la Maison Blanche. L’Indiana et la Virginie Occidentale pourraient aussi basculer, chose longtemps inimaginable. En fait, c’est l’ensemble des électeurs putatifs du clan Clinton, qui se sont finalement tournés vers la candidature démocrate. La crise les aura finalement beaucoup plus convaincus qu’Obama lui-même ! Reste à savoir si la mobilisation sera à la hauteur, l’électorat des démocrates –jeunes, minorités ethniques- étant assez évanescent !

 

En revanche, on ne voit plus très bien quel swing state pourrait remporter McCain, même le New Hampshire et la Pennsylvanie, qu’il convoitait, semblent très loin de pouvoir lui revenir in fine.

 

Un dernier fait rend compte, je pense de la débacle de Mc Cain : les attaques personnelles. Si les Républicains ont rarement fait dans la dentelle, il est affolant de constater à quel point McCain s’abbaisse de jour en jour, en financant des spots orduriers et indignes. Pour un sénateur qui se veut au dessus de la mélée, on a connu plus exemplaire. Surtout, cette stratégie, qui est celle du désespoir, ne dupe personne.

 

 

 

 

Le reaganisme est bien en train de mourir. Après la faillite diplomatique et la faillite économique du modèle, arrive la faillite politique. C’est un bonheur sans nom. Je n’ai jamais caché avoir longtemps craint la victoire de McCain. Je ne retire aucunement ce que j’ai précédemment écrit. Obama, qui sera un très bon président, reste un candidat médiocre qui va remporter difficilement un match gagné d’avance depuis deux ans par les démocrates pour les élections législatives et générales selon les sondages. Surtout, il va gagner parce son adversaire a été anéanti par sa gestion calamiteuse de la crise. Tant mieux, mais le hasard, qui avait été si généreux cet été envers McCain avec la crise géorgienne, fait finalement parfois bien les choses…

 

La crise de l’irresponsabilité.

octobre 1, 2008

 

 

 

Il y a des anecdotes qui offrent parfois des résumés cocasses des situations les plus complexes. Le New York Times a révélé il y a quelques jours, que le secrétaire américain à l’économie Henry Paulson s’était agenouillé devant la speaker démocrate de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi à la fin des négociations sur son gigantesque plan de sauvetage, afin de l’implorer d’accepter ses propositions. Un petit air de Canossa donc, avec des Empereurs de Wall Street plus que pénitents devant le Saint Père qu’il avait maudit, l’Etat.

 

Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques mois, que ce représentant éminent de la finance d’affaires new yorkaise, ancien ponte de Goldman Sachs, dont le dernier salaire annuel était de 23 millions de dollars, trainerait aux pieds du pouvoir politique, qui plus est interventionniste. On savait que les financiers avaient peu de principes, et encore moins d’honneur, mais on ne les savait pas prêts à l’exposer au grand jour…

 

Nul doute qu’à ce moment précis, Nancy Pelosi avait en mémoire l’infinie arrogance de tous ces hommes qui, depuis trente ans, se paraient de toute la vanité que confèrent les illusions d’un pouvoir qui ne rend de comptes qu’à ceux qui l’exercent. Ce pouvoir s’est envolé avec l’effondrement de leurs certitudes.  Les voila, à nouveau, incapables de dompter les rouages bancales d’une machine incontrôlable. Les voici, rampant, gémissant, à quémander les grâces des autorités qu’ils avaient reniées, combattues, moquées, et si souvent condamnées.

 

Piètre jouissance régalienne cependant face aux responsabilités que vont devoir une nouvelle fois exercer les hommes politiques pour laver les dérives de la finance d’affaires, que tous connaissaient sans oser les combattre.

 

Même si demeure le risque d’une réaction en chaine qui toucherait la Chine de plein fouet, et abattrait le dollar, via la chute des bons du trésor que Pékin détient en masse, la crise financière semble annoncer moins d’implications économiques que de conséquences morales et historiques. L’économie réelle étant dans une santé tout à fait honorable, la crise de son financement, parce qu’elle est bien gérée, ne devraient pas affecter durablement les populations et les traumatiser comme l’avait fait la crise de 1929, même si certaines familles, notamment aux Etats-Unis subissent violement les conséquences de l’incurie et de l’avidité des rats qui ont sévi dans les bourses mondiales.

 

La gravité de cette crise relève moins des faillites techniques et des insuffisances des instances régulatrices que de l’incompétence scandaleuse des dirigeants financiers et de l’aveuglement ahurissant, sinon frauduleux, des opérateurs. Elle révèle surtout la très inquiétante irresponsabilité politique et sociale qui préside depuis la chute du communisme au sein des élites économiques. Ces comportements terrifiants ne peuvent ni ne doivent être sans suite, sans quoi ils provoqueront à terme une rupture douloureuse de l’alliance tacite entre les élites et les classes moyennes, socle fondamental de la démocratie libérale et du progrès social.

 

 

 

Je ne vais pas revenir sur le déroulement de la crise des Subprimes, mais plutôt sur ces fondements et les dérives qu’ils illustrent. De fait, puisqu’il est acté que les Etats s’engageront à régler les problèmes à venir, l’ampleur des dommages que la crise va provoquer compte désormais moins que le prix que vont exiger ceux-ci pour les onéreux crédits qu’ils vont fournir aux banques. Il faut qu’il soit juste, sévère et constructif. Il faut qu’il soit élevé, et qu’il ne soit qu’un moyen de parvenir à une remise à plat ambitieuse des organisations économiques internationales. En bref, il faut que les Etats profitent de la faiblesse et des divisions passagères de la finance pour retrouver une marge de manœuvre efficiente et surtout visible.

 

Cette crise est unique et déterminante parce qu’elle arrive à un moment où les puissances mondiales actuelles et à venir doivent engager un revirement considérable au sein du capitalisme libéral dans la façon dont nous produisons les richesses, développons nos économies, répartissons les revenus. Il faut que les Etats regagnent une visibilité et une capacité d’action qui rassurent des populations perdues face à des processus qu’elles ne comprennent pas, et séduites de fait facilement par les discours simplistes des populistes et des extrémistes.

 

Les commentateurs ont souvent rapproché les difficultés actuelles de la crise de 1929. C’est je pense, une erreur fondamentale qui ne peut s’expliquer que par les effets médiatiques que ses auteurs espèrent. Il n’y a rien de commun entre le monde de 1929 et le notre, et dès lors, rien ne rapproche ces deux crises.

 

En 1929, le microcosme de la finance était largement cantonné aux Etats-Unis et à l’Angleterre, dans une moindre mesure la France et l’Allemagne. Ces pays qui possédaient des instances régulatrices très faibles, voire inexistantes, coopéraient extrêmement peu entre eux, ce qui explique pour une grande part les proportions prises par la crise.  Les fonds en circulation, même en valeurs constantes, ne représentaient qu’une infinie partie des échanges actuels. Surtout, si la crise financière reposait sur une panique conjoncturelle, elle reflétait aussi des difficultés structurelles profondes d’une économie réelle sur productive. La bulle spéculative cachait bien d’autres problèmes. La crise de 29 était avant tout celle d’un nouveau système économique qui se mettait péniblement en place.

 

La situation n’a rien de comparable aujourd’hui, ne serait ce que parce que les Etats ont appris à juguler les krachs et à sauver le système financier de lui-même. Si les méthodes de 29 avaient été appliquées à la crise de 2007, les années 30 auraient l’air prospère par rapport aux nôtres !

 

On ne peut en aucune façon comparer le système de la finance contemporaine qui gère près de 300 000 milliards de dollars d’échanges par an, avec son lointain ancêtre. Il ne partage rien. Sa technicité, sa complexité, son rôle ont considérablement progressé. En économie, qui a la mémoire très courte, on ne peut jamais remonter très loin. Celle ci évolue avec le monde, le reflète autant qu’elle l’influence. Ses racines se renouvellent sans cesse et ne sont jamais très profondes. Elle est constituée de cycles, qui se suivent rigoureusement plus qu’ils ne s’emboitent et la rapidité de ce phénomène s’amplifie à mesure que la mondialisation, synonyme de changements constants et rapides, s’intensifie. Rien de bien orignal dans mes propos, mais il est toujours intéressant de constater que certains oublient aussi vite et aussi régulièrement de si simples préceptes.

 

L’économie est un phénix bien dur à suivre, si dur que toutes les tentatives des théoriciens trouvent toujours de cruelles limites. Les principes conducteurs et systémiques sont fort peu nombreux, parfois bien vagues alors les théories économiques « clés en main » ne sont jamais valables plus que quelques décennies : le Keynésianisme avait fonctionné pendant trois/quatre décades, voila que les théories de Friedman, si prometteuses et sures d’elles même viennent elles aussi de s’abattre après…trente ans…

 

Les économistes sont de bien étranges scientifiques, toujours prompts à diligenter de sages conseils quand ils sont incapables de se mettre d’accord sur quoi que ce soit, et préfèrent expliquer les crises plutôt que de réfléchir à leur incapacité à les prévoir. On ne peut théoriser l’imprévisible, et aucun modèle mathématique ne pourra jamais résumer le monde en quelques courbes. Attention, je ne condamne pas les sciences économiques, mais je constate juste, une fois de plus, que ses prétentions doivent rester raisonnables. Elles offrent un cadre conceptuel, des grilles de lecture et de solide principes, mais ne permettent ni certitudes outrancières ni vision à long terme.

 

 

Cette crise était annoncée depuis longtemps. Je me souviens très bien avoir lu ces dernières années de nombreux articles alarmistes sur les risques encourus par les créances pléthoriques plus que douteuses des banques et des mouvements spéculateurs reposant sur des produits d’une complexité ahurissante, sur les déséquilibres du marché monétaire et le fossé toujours plus grand qui se creusait entre l’économe réelle et les marchés.

 

Des personnalités peuvent bien ici ou là affirmer qu’elles avaient tout prévu avant tout le monde, le problème n’est pas là. Le problème est que malgré les nombreuses voix discordantes de gens sérieux et informés –j’exclus par là les divers fanatiques anti-capitalistes qui racontent la même chose depuis qu’ils existent- étaient étouffées par le surmoi idéologique qui dominait et aveuglait l’ensemble des élites mondiales : les lois du marché, telles que les concevaient les héritiers de l’Ecole de Chicago régleraient d’elles mêmes, bien mieux que les Etats, tous les déséquilibres et emballements.

 

Ils n’ont pas tort, le souci demeurant que leur fameuse main est tellement invisible qu’elle n’équilibre jamais autrement que par un krach. On pourrait effectivement laisser alors le marché assainir tout le système par des faillites en cascade et une violente crise, mais les sciences économiques oublient qu’il ne suffit pas de faire se croiser deux courbes merdiques et d’équilibrer des équations à la con pour gérer des nations. Penser que les lois du marché sont invariablement régulatrices revient à raisonner dans un monde où l’économie serait un objet autonome, déconnecté de toute réalité et de toute conséquence, qu’on peut détruire des richesses, des entreprises, des emplois, des savoir faire et briser les vies de millions de gens sans que cela porte à conséquence, puisque seul « l’équilibre » de leur modèle idolâtré n’a de sens. On ne voit pas très bien alors où est « l’intérêt commun » assuré par ce soit disant équilibre.

 

Cette pensée a une fois de plus montré son ineptie, non seulement parce qu’elle échoue à faire fonctionner l’économie, mais aussi parce qu’elle est tout simplement inapplicable aux réalités et aux nécessités.

 

 

Cependant, je ne pense pas que Milton Friedman soit le grand méchant loup responsable de tous les malheurs actuels. Ce serait trop facile. La pensée de l’Ecole de Chicago a été utilisée par des gens qui se fichaient pas mal de sa véracité. Ils ne voyaient que les libertés fabuleuses et l’absence totale de scrupule que de tels postulats leur offraient. En protégeant l’ensemble de leurs actes et de leurs intentions sous le couvert de respectables professeurs, ils assuraient leurs petits intérêts et leur enrichissement apparemment sans limite, sans se soucier aucunement des conséquences de leurs actes qui, comme le disaient tous ces éminents professeurs  bien plus intelligents et prévoyants qu’eux, ne pouvaient que profiter « à terme » (engagement non contractuel…) à toute la société dont pourtant ils se moquent royalement.

 

Les responsables de cette crise sont très facilement identifiables. Ce sont ceux qui ont réalisé des bonus « historiques » depuis trente ans, particulièrement ces cinq dernières années et qui, parce qu’il régnait sur deux écrans de PC en haut d’une tour de la City, se prenaient pour les rois du monde…

 

Ils sont facilement identifiables aussi car ce sont eux qui viennent gémir aux pieds des politiques et rapporter leurs malheurs dans la presse, en essayant de se faire passer pour des victimes d’un système qu’ils ne maitrisaient pas. C’est évident qu’ils ne la maitrisaient pas, mais tout aussi évident qu’ils profitaient allégrement d’un généreux bordel qu’ils avaient mis en place et entretenaient. Je n’ai pas entendu beaucoup de plaintes quand ils engendraient les bénéfices juteux de produits risqués, à l’image des assurances sur les créances risquées dont les montants ont été multiplié par 41 en cinq ans…

 

Ces personnes n’ont aucun honneur, elles n’en ont jamais eu. Elles sont aussi promptes à empocher les dividendes de leurs magouilles qu’à rejeter toutes responsabilités dans leurs conceptions. Vous comprenez, la crise est due au vilain M. Greenspan, vous savez, celui qu’ils ont béni pendant tant d’années, qui a mis tout plein d’argent à disposition, aux gouvernants qui leur ont donné des libertés, et aux régulateurs qui leur ont fait confiance. Je n’ai pas souvenance qu’offrir des opportunités et des libertés, qui plus est à des gens issus des plus grandes institutions mondiales, reviennent à cautionner les délits et les crimes. Ce n’est pas parce que l’Etat n’enchaine pas chaque citoyen à son domicile qu’il cautionne les actes qui en découlent !

 

Bien sur, certaines lois sont erronées, certaines institutions ont mal fait leur travail. Mais le tour de passe-passe des financiers consistant à faire basculer toute leur responsabilité sur les pouvoirs publics ne marchera pas ! Ce sont eux, l’ensemble des dirigeants, une bonne partie des opérateurs qui ont mis en place, cautionné et profité d’un système véreux, scandaleux,  qui sont entièrement redevables de la situation et qui doivent rendre des comptes.

 

Le comportement de la finance, par delà sa cupidité essentielle, ce que je ne lui reproche pas du tout puisque c’est un moteur dont nous pouvons tous profiter, a été caractérisé par une totale immoralité et plus grave, par une totale incompétence.

 

Qu’est ce que la crise des Subprimes, sinon la première crise spéculative fondée sur la pauvreté ! J’aborderai plus tard des caractéristiques techniques du système, mais il faut d’abord revenir à l’origine, et l’origine c’est que les banques américaines, à la recherche de nouvelles sources de revenu sont allées chercher des clients non solvables pour leur refourguer un prêt dont elles avaient parfaitement conscience qu’il était plus que risqué –le terme même de Subprime indiquant un taux supérieur rétribuant les risques encourus par le prêteur face à un client peu solvable- en pensant que la hausse de l’immobilier durerait vingt ou trente ans et permettrait de couvrir les créances des mauvais payeurs… Ces banques ont profité honteusement de la situation précaire de pauvres gens, en leur mentant, en les fourvoyant, en leur faisant miroiter l’accession à la propriété, en leur faisant signer des contrats scandaleux à taux variable. Qui peut croire une minute que les gens qui ont signé de tels contrats comprenaient le système mortifère dans lequel ils s’engageaient, étaient au courant des subtilités de la politique monétaire de la FED ! Les banquiers eux, le savaient très bien. Je précise de suite, que je ne blâme pas les banquiers des agences qui ne font que respecter des ordres ; ce sont les donneurs d’ordre, qui savent très bien ce qu’ils font, qui sont responsables. Ils ont jetés des centaines de milliers de familles dans des situations inextricables. Je tiens d’ailleurs à signaler que des pratiques semblables ne touchent pas seulement l’immobilier. En France, les agences de crédit n’ont aucun scrupule à verser à une famille en leur racontant une bonne litanie de bobards, jusqu’à 70 000 euros en une seule journée, sans que celle-ci n’ait à justifier de sa solvabilité …

 

On pourra m’objecter que les financiers ne sont pas des assistantes sociales…de là à flirter avec des comportements délictuels, sinon criminels, il y a quand même un monde, et, à ce que je sache, les financiers sont des hommes soumis aux mêmes exigences citoyennes que tout autre…passons cependant cet aspect moral, pour se concentrer sur l’incompétence.

 

Il y a un élément assez peu commenté dans la presse et qui est pourtant fondamental. Ce qu’on a appelé la financiarisation de l’économie a eu pour moteur principal, par delà les opportunités fabuleuses de la mondialisation, la mise en place de nouveaux outils comptables et produits financiers d’une complexité inouïe, basés sur des modèles mathématiques que seuls des génies et des doctorants peuvent comprendre. Tous nos petits golden boys ne sont pas des spécialistes de l’économie qu’ils n’ont étudié qu’en passant. Ce sont des ingénieurs et/ou des mathématiciens, à la rigueur des élèves du type HEC particulièrement doués en maths.

 

Plusieurs problèmes majeurs sont alors apparus. Tout d’abord, ces modèles mathématiques, malgré leur complexité ne valent pas grand choses, et toutes les prétentions du « langage du Dieu » ne pourront jamais intégrer l’ensemble des variables, en tout cas pour l’instant, de notre beau monde ! Il est difficile de modéliser, entre autres, l’irrationnel qui caractérise une économie faite d’hommes ! Surtout, les concepteurs de ces modèles sont sourds à toute critique et j’ai encore en mémoire l’interview d’une professeure de Polytechnique s’engageant sur la perfection de ces produits… Le hasard a fait que le Monde a réinterrogé aujourd’hui même cette professeur, qui feint de découvrir qu’ils peuvent être mal utilisés…

 

Par ailleurs, même si ces modèles avaient été valables, ils garderaient leur défaut principal, celui de n’être compris que par une infime minorité d’opérateurs…Dès lors, la finance se rallie à des opinions qu’elle ne comprend pas, dont elle ne peut juger les fondements.

 

On a notamment pu constater un fossé générationnel gigantesque qui s’est creusé entre les directions des banques, dont les membres sont âgés, et les différents « office », toujours plus jeunes à mesure qu’on monte dans la hiérarchie du trading… Conséquence, une confiance aveugle de la direction envers les nouvelles recrues, des chèques en blanc sur des prises de risque considérables, une absence totale de stratégie à long terme autre que « Enrichissez nous ! »… En somme, un management incompétent et des opérateurs déconnectés du quotidien, tout juste vissés à leur écran, prisme déformant d’une réalité qu’ils méprisent.

 

Une preuve parmi d’autres, car je ne me permettrais pas de citer l’affaire Kerviel : n’avez-vous pas remarqué que les pourfendeurs de la finance actuelle sont des vieux roublards qui n’entendaient rien, et bien leur en a pris, aux modèles proposés : Warren Buffet, George Soros, Felix Rohatyn…

 

D’une manière générale, j’espère que l’une des conséquences de la crise sera le refoulement des mathématiques dans leur rôle légitime et merveilleux, et qu’on cessera de nous les présenter comme l’Alpha et l’Omega de toute science, de toute pensée, de toute intelligence, de toute performance.

 

Se pose ensuite le problème majeur de la titrisation. L’apparition de ce type d’opération dans les années 80 confirme que la finance n’a plus rien à voir avec celle de 1929 ! Pour faire simple, et parce que je n’ai de toute façon sans doute pas tout compris, la titrisation permet de rendre liquide (c’est-à-dire de convertir en agent frais) des actifs qui ne le sont pas comme…des créances ! Par l’intermédiaire d’une société créée ad hoc, vous pouvez transformer des créances en titres vendus comme des obligations sur le marché, ce qui permet aux organismes préteurs de dégager de nouveaux fonds à investir/prêter quitte à sacrifier les fonds propres. Le problème majeur est que les créances perdent en clarté et que l’opacité engendrée crée des risques et de l’incertitude. Par ailleurs, les multiples complexités qui ont été imaginées à partir de la titrisation, notamment sur la gestion des risques liés aux créances cédées et sur les possibilités de rachat parallèle des dits créances par des filiales de banques émettrices, ont rendu le système illisible –à l’image de cette phrase ! On comprend aisément dès lors, qu’un vent de panique permette de briser tout l’édifice.

 

Certaines normes comptables ont par ailleurs entretenu les illusions. De toute façon, le fait qu’il existe plusieurs normes comptables sur lesquelles on peut jouer selon les pays est un scandale en soi qui met en lumière qu’on s’intéresse moins aux résultats réels des entreprises qu’à la meilleure façon de les présenter ! Comment mentir avec le plus d’élégance possible en quelque sorte. Ainsi, les normes IFRS valables dans une bonne partie de l’Europe imposent d’indiquer la valeur du marché des actifs. Gage plus que douteux de leur véracité !

 

Enfin je ferais un simple commentaire sur la spéculation. Il est grand temps qu’on se penche sur son cas et qu’on se mette d’accord sur une définition exacte qui différencierait définitivement la manipulation du marché des mouvements stabilisateurs et des placements à risque. On pourrait ainsi l’interdire une bonne fois pour toute. On se moque totalement des soit disant risques de tarissement des liquidités. Au contraire, moins de liquidités  sera un gage d’investissements qualitatifs et réfléchis, attachés aux réalités économiques. Par ailleurs, cette interdiction correspondrait parfaitement au virage qu’il faut prendre, j’y reviendrais. La spéculation fait des ravages depuis que l’économie monétaire existe, il serait temps de faire quelque chose !

 

 

Voila quelques causes techniques, je pense, de la crise actuelle. Mais son moteur principal est ailleurs et réside dans la faillite totale de la responsabilité des élites économiques, qui n’est d’ailleurs pas limitée à la finance même si c’est elle qui a contaminé les décideurs.

 

La majorité des financiers, et j’exonère nombre d’entre eux qui comme par hasard sont souvent de grands philanthropes tels Warren Buffet et George Soros, n’ont aucun autre but que leur pomme et l’acquisition de leu prochaine Lamborghini.

 

 

Qu’on ne me dise pas que le profit a toujours été le seul moteur de l’économie et des entrepreneurs. C’est faux et malhonnête. Bien entendu, on ne fonde pas une entreprise pou perdre de l’argent, mais les dirigeants d’entreprise sont aussi des personnes qui peuvent avoir des ambitions autres pour leur entreprise : créer et initier des projets, construire et prospérer, représenter des valeurs, devenir leader sur d’autres domaines que la rentabilité, faire œuvre sociale, être écologiquement responsable, etc. Autant d’éléments qui sont par ailleurs cumulables. Nombres d’entreprises étaient prêtes à sacrifier une part de profit, certes toujours minime, et c’est bien normal, pour améliorer la condition de leurs employés, financer des projets philanthropiques. Ces objectifs n’ont heureusement pas disparu et derrière la myriade de campagnes marketing, il y a de nombreux dirigeants qui ont une politique entrepreneuriale qui a volontairement d’autres buts que la maximisation absolue du profit.

 

J’aimerais revenir sur ce dernier élément. Cela fait quelques années qu’une minorité de sociétés financières, notamment les fameux Hedge Funds, nous enfument allégrement en ayant réussi à confondre la recherche du profit, moteur même du capitalisme, avec une vison spoliatrice qui vise non pas à mettre en place des entreprises profitables sur le moyen et long terme, mais à réaliser le plus de bénéfice possible sur le court, voire très court terme. Il y a la, un dévoiement gravissime du capitalisme particulièrement dangereux.

 

En effet, le système capitalisme est admirable en ce qu’il permet de satisfaire à la fois les intérêts privés, par le profit, et le bien commun, en fournissant du travail, en produisant des richesses dont la société bénéficie largement. Le problème des Hedge Funds, c’est qu’ils oublient la deuxième partie du deal capitaliste en se contentant d’empocher la monnaie.

 

Ce comportement a une responsabilité directe dans la crise. En restreignant la progression des salaires, la finance a encouragé le recours toujours plus excessif à l’emprunt et au crédit. Une fois de plus, on a spéculé sur la pauvreté, ou en tout cas, le tarissement du pouvoir d’achat.

 

Devant les exigences irresponsables de certains investisseurs, trop de grandes entreprises ne respectent plus rien, même pas leurs promesses, même plus le travail de leurs employés. Je suis le premier à demander une modernisation du marché du travail français. Mais les méthodes de chantage qui sont de plus en plus souvent utilisées, et surtout, le mépris de la parole donnée sont le signe effroyable d’une séparation définitive des cadres dirigeants d’avec leur base. Les entreprises n’ont jamais été un lieu d’amour et d’idylle, et n’ont pas à l’être, mais il y avait un esprit de corps, un respect mutuel minimal, la sensation d‘être sur le même navire dans la majorité des entreprises, et il ne suffit pas d’afficher un slogan « corporate » bon marché pour instaurer un tel souffle. Quand on ferme des usines auxquelles on avait promis, contre des objectifs de performances atteints de donner du travail, on ment, on ne respecte rien et on mérite d’être envoyé en prison. Personne ne les avait obligés à raconter leurs bobards. Lorsqu’on menace directement, sans considération des ouvriers de les licencier s’ils n’acceptent pas sans condition un ultimatum, c’est du simple chantage et ca se paie.

 

Surtout, il faut que les dirigeants réapprennent à assumer leurs devoirs. Quand on fait un plan social, on vient le présenter et le justifier soi même devant les employés. Lorsqu’on fait face à de mauvaises performances, on baisse aussi sa rémunération, et inversement, on n’augmente pas les seuls cadres quand tout va bien. Il est assez intéressant de constater qu’on conçoit que les performances des grandes entreprises sont avant tout liées au management –ce qui est vrai- mais que l’on fait payer les difficultés à la base… Etrange syllogisme !

 

La pression d’actionnaires mal intentionnés est la cause principale de ce changement de management. La rémunération des dividendes représentent en France, en 2007, 13% de la masse salarial contre moins de 5% il y a vingt ans… Cette politique met en péril aussi bien les capacités d’investissement des entreprises, leur trésorerie que leur politique sociale. La mondialisation profite trop peu aux classes moyennes occidentales qui constatent tune enchérissement phénoménal des élites alors que leurs ressources, tout en s’améliorant, semble stagner. Cette perception –car c’est la perception qui compte malheureusement- est dangereuse car frustrante et incompréhensible par la population. Elle est par railleurs, largement injuste.

 

Il est assez difficile de justifier l’aide massive apportée au système financier autrement que par une froide nécessité. Les peuples demandent que des têtes tombent, et ils ont raison. Il faut briser le petit microcosme des élites qui s’entraident continuellement entre elles et ne rendent jamais de compte sur leur gestion, puisque même quand ils sont remerciés, ils empochent de gentilles compensations… et sont réembauchés ailleurs par leur anciens copains de promo.

 

La situation est d’autant plus absurde et difficile à justifier que les banques entretiennent elle même le risque de contagion à l’économie réelle en restreignant l’accès au crédit, même quand celui-ci est valable et justifié ! Elles se désengagent donc de leur rôle économique essentiel. Drôle de façon de montrer leur responsabilité et leur reconnaissance envers les contribuables !

 

 

On peut bien me traiter d’hystérique ou de naïf, je m’estime bien plus clairvoyant que tous les gugusses qui sont rivés  à leurs statistiques, en maquillant leur cynisme par un prétendu rationalisme. Le divorce dramatique qui s’opère entre les entreprises et le peuple, entre les élites économiques, les dirigeants et les classes moyennes est absolument dramatique pour la simple et bonne raison qu’il remet en cause le fondement de la démocratie mais aussi la légitimité de l’ordre social.

 

Les classes dirigeantes ne sont pas à leur place par la grâce de Dieu, je tiens à le rappeler. Il ne faudrait que quelques jours pour que la population les enferme, les dépouille, et bien pire. On pourrait rire de ce petit scénario catastrophe si cela ne s’était pas passé plusieurs fois et pour de très bonnes raisons. Qui pourrait blâmer les Russes, les Chinois d’avoir voulu se débarrasser d’élites qui ne s’occupaient aucunement de leur sort, et qui au contraire montrer au jour le jour leur incurie. Je pourrais prendre nombre d’exemples historiques où les élites ont été renversées quand elles n’occupaient pas leur rôle, et à chaque fois, elles ne voyaient pas le coup venir !

 

Il faut justifier sa place, il faut justifier ses revenus et son confort. Il ne suffit pas de se pavaner à la télé sur un Yacht devant des millions de gens qui ne partent pas en vacances sans croire que cela a des répercussions psychologiques profondes. On peut rêver sur une actrice richissime qui ne fait rien d’autre que de divertir les gens, en revanche on hait facilement un patron qui a licencié la veille le voisin et qui semble ne pas s’en préoccuper.

 

Certes, la classe moyenne profite bien du système, je n’annonce pas une révolution ! Mais elle se sent lésée, et les retournements sont rapides. Le système mis en place pendant les Trente Glorieuses est à bout de souffle. Devant ce fait, les élites dirigeantes ont profité de la chute du communisme pour se dégager de toute responsabilité, croyant que la disparition de modèles alternatifs lui laissait le champ libre.

 

 

Or, on sous estime la colère qui se propage devant la crise. Je vous le dis de suite, elle était là bien avant, elle sera la, encore plus forte bien après. Viendra, sans doute plus vite que l’on ne croit, le moment où les populistes dépasseront régulièrement les 20%, score qui annonce pourtant déjà une crise civilisationelle profonde.

 

Le cas des Etats Unis est particulièrement éloquent. Le bipartisme protège le pays des candidats extrémistes. Bien leur en fasse, car les candidats doivent faire preuve d’un tel populisme, d’un tel rejet des élites et du système dans leurs discours qu’un candidat extrémiste qui aurait la puissance financière d’un parti prendrait sur le champ le pouvoir, j’en mets ma main à couper.

 

Je pourrais parler longtemps de la crise des élites et du divorce qui s’opère entre les classes, qui, mes amis le savent, est une de mes certitudes et un des enjeux majeurs de notre civilisation. Mais je reviens sur la crise même.

 

 

Je ne sais pas encore si on assiste à un changement mondial de politique économique. Le rejet du plan Paulson par la chambre des Représentants montrent qu’une bonne partie des dirigeants ont encore du mal à admettre la faillite de leurs thèses idolâtres. Par ailleurs, on a un peu vite transformé les interventions étatiques en socialisme et en nationalisation. Il faut rappeler que ces mesures sont temporaires et quelles visent toutes, à moyen voire à court terme, à enrichir in fine l’Etat qui revendra ses engagements. C’est d’ailleurs heureux, et prouvent que les gouvernants savent manier au mieux les intérêts communs, un peu, toutes proportions gardées, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy avec Alstom.

 

Je suis réservé aussi, car la faillite des banques et le renflouement par l’Etat n’est pas nouveau. Reagan avait bien payé des dizaines de milliards de dollar au nom du Banking Act rooseveltien pour sauver le système… et conclure que l’Etat devait se désengager !

 

Surtout, il ne faut pas faire preuve d’une trop grande naïveté quand aux motivations des interventions américains. Bien entendu, le sauvetage du système financier était primordial, mais le gouvernement américain a eu aussi très peur que les fonds souverains de certains pays pue recommandables, par exemple, la Chine, la Russie, profite d’une occasion inespérée de mettre la main sur la finance la plus puissante du monde. Une fois encore, notre bonne amie la géo politique est un élément peu pris en compte par les modèles mathématiques !

 

J’espère cependant que les puissances vont réussir à organiser une vraie concertation. Il est évident que toute mesure nationale et même régionale n’aurait aucun effet. Les Socialistes français sont justes ridicules quand ils prétendent que le gouvernement pourrait agir réellement sur la crise. Cela prouve au choix, leur mauvaise foi, ou leur stupidité.

 

Il y a vraiment une occasion historique, et nécessaire, à saisir. Sachant que ces vingt dernières années ont été celles des occasions ratées, j’espère qu’on va enfin passer à autre chose.

 

En effet, la réorganisation totale des organisations financières mondiales pourrait être le premier pas vers une restructuration ambitieuse des économies vers le développement durable. Si les Etats démontraient qu’ils arrivaient à nouveau à coopérer pour le bien commun sur les sujets financiers, ils ouvriraient la voie à la gestion trop retardée des impératifs écologiques qui ne peut avoir comme cadre qu’n système bancaire responsable et entreprenant. On a surtout démontré que les gouvernements avaient de nombreuses ressources financières, ou au moins fiduciaires, à leur portée en cas de nécessité. Quelle autre plus grande nécessité que celle de lancer le plus vite possible la quatrième et radicale révolution industrielle ?

 

 

 

 

 

Le capitalisme n’est ni bon ni mauvais, il est juste profondément humain, et en cela admirablement efficace. Il tire sa force et son efficacité  de sa capacité parfaite à laisser l’homme agir à sa guise, à s’adapter sans cesse à son contexte par sa totale plasticité, à reproduire les intérêts privés et les comportements des hommes, leur génie et leurs insuffisances, leur prévoyance et leurs illusions. C’est à l’Etat qui essaie tant bien que mal de trouver un bien commun, de donner un horizon précis et des limites qui, à défaut d’être étroites, doivent être claires.

 

J’ai conscience d’avoir été très virulent dans ce billet. Pourtant, je suis un farouche défenseur du capitalisme libéral. C’est d’ailleurs la raison essentielle de ma violence car je pense sincèrement que celui-ci, depuis vingt ans, se met en danger, et qu’une réforme drastique est nécessaire pour qu’il permette à nouveau à l’humanité de s’épanouir pleinement.

 

L’économie a deux impératifs a géré, celui de réconcilier les populations autour d’un système profitable au maximum, celui de se convertir au développement durable.

 

Ces deux défis nécessitent un encadrement musclé et efficace de l’Etat, ne serait ce que parce qu’ils exigent une coordination. Le retour de l’Etat qui s’annonce vient donc à point nommé.

 

L’économie n’a pas de but en elle-même autre que la production de richesse. Les libéraux font donc une erreur terrible quand ils assurent qu’elle permet le bien commun. Celui-ci ne peut être assuré que par les Etats. Il est grand temps que ces derniers s’organisent, ou plutôt qu’à leur tour, ils se mondialisent.

 

 

 

La crise géorgienne : nouvelle Russie, nouvelle Europe, vielle Amérique… Un nouveau départ pour la géopolitique européenne.

septembre 15, 2008

 

 

 

Voila plus d’un mois que le conflit éclair entre Géorgiens et Russes a commencé. Force est de constater qu’il sera bientôt fini. L’issu militaire étant toute proche après l’abandon par les forces russes de cinq camps importants dans l’ouest du pays, il me semble opportun de réfléchir aux enjeux et nouvelles perspectives géo politiques que ces semaines de tension ont mis en place.

 

La crise géorgienne, comme je le disais dans mon précédent billet a bien été provoquée par un coup de tête du président Saakachvili, qui a agi sans s’enquérir de l’aval des dirigeants occidentaux. Même si le New York Times a affirmé que des proches du vice président Dick Cheney, avaient pu conseiller le président géorgien, aucune directive autre que des avis individuels ne semble être venue d’importants responsables américains, ce qui de toute façon est des plus logiques.

 

Par delà les tragédies qu’ont provoquées l’erreur et la précipitation de Tbilissi, dont le gouvernement devra bien répondre un jour, la crise géorgienne a mis au clair un certains nombres de réalités consécutives à la fin de la guerre froide et à l’évolution de la situation internationale qu’il faudra désormais prendre sérieusement en compte pour comprendre les aléas de la géopolitique.

 

Les conséquences concrètes de la crise en Géorgie, l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, c’est-à-dire le maintien définitif des troupes russes dans ces territoires, ne font qu’entériner en droit une situation qui existait de fait depuis plus d’une décade. Je ne doute plus que ces territoires intégreront à terme, d’une façon ou d’une autre, la Fédération de Russie. Cela a peu d’importance et ne modifient véritablement que peu le rapport de force entre les capitales européennes, russe et américain.

 

En revanche, la Russie vient de remporter une victoire diplomatique décisive dont il faut, je pense, plutôt se satisfaire, tant elle va permettre de rééquilibrer les relations plus qu’houleuses avec Washington tout en montrant que l’Europe commence à avoir les moyens d’agir d’une seule voix. En effet, la résolution du conflit par la diplomatie européenne (fortement orientées par l’Allemagne et la France), fut et reste exemplaire, efficace et équilibrée. On peut d’ailleurs reconnaitre un réel talent à Nicolas Sarkozy qui, pour une fois, a su mettre de coté son orgueil pour incarner sincèrement les intérêts, la volonté et l’habilité de l’Europe.

 

Loin de moi toute idée anti américaine. Pourtant, il faut constater que la politique de Washington envers Moscou est obsolète et légèrement hystérique depuis la chute de l’URSS. Bien entendu, tout le monde se réjouissait en Occident d’avoir en la personne de Boris Eltsine un interlocuteur qui cédait aussi facilement à ses exigences qu’à l’appel attrayant de ses bouteilles de bibine. Une outre de Vodka est toujours plus affable qu’un homme d’Etat.

 

La Lune de Miel entre Georges Bush et Vladimir Poutine fut aussi courte que sincère, et n’en déplaise à l’intéressé, scruter un regard n’a jamais permis de bâtir une politique. Les Etats-Unis ne font rien pour améliorer leur relation avec les Russes, c’est le moins que l’on puisse dire, et leur entêtement à isoler la Russie est tout bonnement incompréhensible, à moins d’y voir le reliquat d’un demi siècle de Guerre Froide. Je ne dis pas que les Russes font des efforts particuliers, mais ils ont fait un certain nombre de gestes envers l’Europe –leur acceptation de l’élargissement de l’UE- qui devrait prouver aux Etats-Unis que les oppositions idéologiques ont bel et bien disparu. La Russie n’étant plus qu’une puissance économique moyenne, on ne voit pas très bien en quoi elle constitue un ennemi si préoccupant. Ses moyens militaires et son influence diplomatique en font en revanche un perturbateur de poids. Il serait donc beaucoup plus efficace d’assurer la Russie de notre amitié et de notre volonté totale de collaborer avec elle, ce qui à mon sens, l’encouragerait vers des réformes domestiques plus libérales, et l’écarterait de ses penchants pour les relations diplomatiques douteuses…Telle est, je crois, la position de l’Union Européenne, fort pertinente même si elle oblige à avaler quelques couleuvres et à supporter quelques déclarations pénibles de Vladimir Poutine.

 

D’ailleurs, je pense que la diplomatie américaine –qui n’a rien fait d’autre que de monter la voix et d’envoyer d’ostensibles mais fort légers soutiens- s’est sciemment désengagée de la résolution de la crise en Géorgie en se rangeant derrière les efforts de Bruxelles et de Nicolas Sarkozy, et il serait intéressant que ce soit la première étape d’une délégation de responsabilité, si je puis dire, des Américains envers les Européens –il s’agirait en fait du troisième exemple, puisque Washington fait déjà confiance aux Européens sur la Liban et le Liban, moins sur l’Iran. J’espère que la gestion de la crise va apporter un gage de confiance dont les Européens ont besoin pour prouver leur capacité à résoudre un conflit aussi bien envers eux-mêmes qu’envers les Etats-Unis qui pourraient dès lors se reposer sur une Europe qui commencerait à avoir un numéro de téléphone, pour faire taire ce cher Kissinger…

 

Loin de moi l’idée que Washington ne doit plus peser en Europe, ses forces sont beaucoup trop précieuses. Mais il faudrait désormais appuyer les Européens dans leur démarche, leur confier la gestion directe des affaires européennes. Je suis un peu optimiste sur la résolution des Européens à parler d’une seule voix, mais je suis convaincu que l’Europe ne prendra ses responsabilités qu’une fois qu’elle y sera confrontée, sans pouvoir se protéger systématiquement derrière les Américains, boucs émissaires immédiats de tous les maux… Il faut prendre le risque de quelques échecs pour construire une diplomatie européenne efficace, et doubler les doutes des peuples, une fois de plus, pour leur en révéler l’absurdité.

 

La force et la subtilité diplomatiques de l’Europe se sont d’autant plus manifestées qu’un heureux hasard avait placé le sommet d’amitié que les Européens devaient tenir depuis quelques mois avec l’Ukraine, le point d’achoppement le plus chaud qui existe entre Russes et Occidentaux. Les engagements qui y ont été souscrits de part et d’autre sont, à mon sens, particulièrement adaptés et constructifs puisqu’ils envisagent d’assurer des liens privilégiés avec Kiev, sans froisser les intérêts essentiels de Moscou. En bref, ils permettraient à terme de faire en sorte que l’Ukraine ne soit pas un sujet de discorde –et quel sujet !- mais un moyen de mettre en œuvre des relations cordiales, équilibrées et mutuellement profitables pour les Ukrainiens, les Russes et les Européens.

 

De fait, au lieu de ressasser les conflits et difficultés issus de la Guerre Froide, et surtout, de la décomposition brutale de l’URSS comme s’obstinent trop souvent à le faire Américains et Anglais – j’exclue les anciens pays de l‘Est qui ont l’excuse d’un lourd passif-, il serait un peu plus intéressant de les liquider par la coopération, et surtout, des témoignages de respect réciproque.

 

Or, qu’a fait l’Occident depuis quinze ans, sinon imposer à la Russie une réalité à laquelle elle n’avait plus son mot à dire. Je ne dis pas que la Russie a des revendications systématiquement légitimes mais nier son influence et souvent, la pertinence de ses objections vis-à-vis de l’encerclement stratégique continuelle dont elle est la victime, n’est pas le meilleur moyen d’en faire un état ami. Pire, en humiliant constamment la fierté russe, certes vaniteuse, on donne des arguments vitaux aux nationalistes qui prouvent ainsi à l’envi que la démocratie russe est trop faible pour défendre les intérêts de la patrie. Qui peut d’ailleurs, à la lumière du bilan désastreux des années Eltsine, leur donner tort ?

 

Je suis loin d’être un inconditionnel de Vladimir Poutine. Mais il est un peu facile d’en faire un suppôt de Satan. Je suis persuadé que l’Histoire se montrera fort indulgente avec Poutine, non pas qu’il n’ait pas commis d’erreurs, sinon de crimes, mais qu’il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. J’entends rarement parler de ce qu’est la Fédération de Russie, de ce dont elle a hérité. Comment oublier si vite que la Russie n’a vécu que dans le régime despotique du tsarisme, qui malgré toute la beauté de sa culture, était politiquement et économiquement arriéré, avant de subir un siècle de dictature communiste. Bien sur, on aurait tous voulu une conversion triomphale et superbe de la démocratie en 1992, mais l’épopée fantastique de Boris Eltsine tourna rapidement à la tragi comédie fantasque.

 

Qu’a fait Boris Eltsine pendant ses deux mandats ? Une série continuelle de conneries. Derrière le gugusse sympathique qui pouvait danser joyeusement devant les caméras occidentales après avoir bien profité du mini bar de son Tupolev, se trouvait un régime plus que corrompu qui a bradé toute l’industrie soviétique pour former une large classe d’oligarques et de mafias tout en retirant à l’Etat toute efficacité, à la Justice toute autorité et en confirmant à l’armée –ainsi qu’au FSB- une dangereuse autonomie de fait. Dans son quotidien, la démocratie n’a été pour la population russe qu’une prolongation douloureuse de la dictature soviétique. La liberté est amère quand elle confisque les maigres avantages matériels de la bureaucratie, qu’elle fait fondre de 50% un PIB qui était déjà loin d’atteindre ses promesses et provoque une crise monétaire violente.

 

Franchement, considérant la détresse morale et matérielle des Russes en 1999, on aurait pu craindre bien pire que l’arrivée de Vladimir Poutine qui n’est pas un dictateur, ni un dangereux fasciste. C’est loin d’être un tendre et je ne doute pas qu’il soit responsable d’actions condamnables. Mais il a donné un nouvel espoir aux Russes, et fait le ménage dans le pays. Il a au passage, assuré ses petits intérêts personnels, mais sans nuire à l’intérêt national. Il met en place une nouvelle nation qui à terme, sera prête à faire vivre une démocratie. Aidé par les cours élevés des matières premières qui abondent en Russie, il a comblé puis dépassé le désastre économique qu’avait provoqué la chute de l’URSS, et débarrassé le pays de nombres de mafias et d’oligarques véreux. On s’est ému en Occident, du sort de Mikhaïl Khodorkovski … On ne peut que regretter les conditions de sa détention, mais il n’en reste pas moins que cet homme d’affaire n’était qu’un spoliateur et un voleur.

 

Aujourd’hui, l’inflation russe oscille entre 5 et 9% quand elle était à 35% et reste inferieure de plusieurs points à la hausse des salaires, le chômage est stabilisé, les réserves de change s’élève à 500 milliards de dollars. Les conditions sociales restent déplorables, avec une espérance de vie masculine digne du Tiers monde, à 59 ans, et des services publics qui restent largement à rebâtir mais le nouveau président, Dmitri Medvedev parait disposé à investir massivement pour éviter à la Russie un désastre sanitaire et démographique largement annoncé.

 

Cependant, Poutine n’a pas su – ou voulu ?- reconstituer une justice indépendante digne de ce nom, capable de faire régner l’ordre et de combattre les mafias. On n’a pas cessé de dénoncer la mise en place d’un pouvoir vertical, centré sur l’exécutif en Russie, mais si quelqu’un a une meilleure idée pour limiter la corruption, qu’il la soumette.  L’armée, bien que reprise en main, reste un pouvoir dangereusement autonome, qui connait de très graves troubles et crimes qu’ont illustrés la guerre en Tchétchénie et le drame de Beslan.

 

 

Cette longue digression a pour but de montrer que Poutine, totalement soutenu par le peuple russe, avec une administration stable et compétente organisée autour de Medvedev, Sergei Lavrov et Sergei Ivanov, est un partenaire on ne peut plus viable, qui mérite d’être encouragé dans les ouvertures qu’il peut offrir plutôt que le pousser à se retrancher et à adopter dès lors un discours stupide, vulgaire et xénophobe pour ne pas perdre la face.

 

Les hystériques qui ont vu dans la crise géorgienne un retour de la guerre Froide devraient réserver leurs cris d’orfraies à Cuba et à la Corée du Nord, et se souvenir qu’il n’y a plus aucun conflit d’intérêt idéologique et donc systématique, entre l’Occident et la Russie, qui collaborent sur nombre de dossiers. Ainsi, pendant que des journaleux avides de formues à l’emporte-pièce voyaient un nouveau Prague en Ossétie, Moscou envoyait de l’aide -des hélicoptères- aux forces européennes au Tchad et soutenait la coalition en Afghanistan… Passons.

 

La crise géorgienne combinée au sommet UE/Ukraine doit permettre au contraire, de montrer que la Russie et les Occidentaux peuvent et doivent collaborer au lieu de se perdre dans certains conflits ridicules. L’erreur de Saakachvili a un avantage : mettre les compteurs à zéro. Les Russes ont eu leur Kosovo, qu’ils le gardent, c’est, si je puis dire, de bonne guerre. D’ailleurs, cela permet de résoudre un contentieux d’une façon tout à fait correcte puisque les peuples abkhazes et ossètes souhaitent retourner dans le giron russe, et que cela évite la persistance de deux micros états qui existaient de fait depuis plus de dix ans.

 

Les comptes étant soldés, les questions vraiment difficiles vont pouvoir être abordées. En effet, Russes et Occidentaux doivent trouver des moyens d’effectuer des transitons optimales dans les trois états européens de la CEI, à savoir l’Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie.

 

L’Ukraine pose particulièrement problème dans le sens où elle a hérité de frontières absurdes qui ne correspondent à rien et qu’une partie de sa population, à l’Est se verrait bien en Russie, de même que la Crimée, offerte par Khrouchtchev, et qui abrite à Sébastopol la flotte russe de la Mer Noire selon les termes d’un traité signé en 1997 qui arrivera bien vite à échéances… Il est évident que jamais la flotte russe ne quittera les lieux, et Moscou a déjà commencé à distribuer des passeports à la population russophone majoritaire pour préparer une éventuelle sécession.  Kiev n’a aucun pouvoir sur la Crimée et vient de le prouver en « exigeant » des Russes qu’ils les informent de leurs mouvements pour les limiter sous peine de voir le port fermé…Le port est toujours ouvert, et aucune information n’a été transmise aux autorités ukrainiennes!

 

La situation est plus difficile en Biélorussie où les dérives mégalomaniaques d’Alexander Loukachenko que même Moscou n’arrive plus à maitriser, brouillent toutes les pistes de réflexion. En effet, Poutine n’arrive pas à faire aboutir le traité d’union confédérale qu’il cherche à établir depuis huit ans… pour la simple et bonne raison que Loukachenko a légitimement (pour lui-même j’entends) peur de perdre son pouvoir ! L’Europe doit garder la même prudence envers Minsk que celle qu’elle observe envers Kiev pour obtenir la démocratisation et la meilleure issue possible pour les populations tout en respectant la prédominance russe.

 

De fait, cette double prudence lui permettrait d’obtenir des concessions en Moldavie. La Russie a peu d’intérêts à rester si influente en dans ce pays si ce n’est qu’elle accapare, en soutenant le régime autonomiste de Transnistrie un moyen de pression très fort sur les Occidentaux. Assurer la Russie que nous ne voulons pas l’éliminer de toutes ses sphères d’influence en respectant ses intérêts en Ukraine et en Biélorussie devrait lui faire assouplir sa position. La Transnistrie étant tout à fait isolée de la Russie (entre Roumanie et Ukraine), je pense que Moscou s’en passerait pour peu qu’on lui donne d’autres garanties. C’est un peu une politique à la Yalta, mais on connait le gout des Russes pour cette dernière !

 

 

 

 

D’une manière plus générale, si vous regardez le blason de la Russie actuelle, vous verrez que ses aigles portent trois couronnes. La plus grande, représente la Russie, je vous laisse deviner, ce qu’illustrent les deux autres…Un petit indice, ce n’est pas la Moldavie… Que l’Europe ne touche donc pas trop aux bijoux russes, elle pourrait ainsi mieux aider les Moldaves !

 

Les Européens ont montré qu’ils comprenaient que leur intérêt n’était pas dans une confrontation brutale avec la Russie, telle que le souhaite les Américains, pour des raisons que j’ai du mal à comprendre, mais dans une coopération respectueuse qui permettrait à la Russie de se dégager de ses démons. Gageons que le succès que la diplomatie européenne vient de remporter la confortera dans cette approche.

La Crise Thaïlandaise, les multiples visages du Siam face à l’immaturité politique.

septembre 11, 2008

Ce billet est dédié à la comtesse de ma vie, pour nos moments de découverte géographique…

 

Depuis quelques semaines, Bangkok est agitée par d’importantes manifestations, qui ont dégénéré à de nombreuses reprises en rixes. Loin d’être anecdotiques ou contingentes, ces violences illustrent la crise profonde d’un pays pourtant prospère et prometteur, qui vogue tranquillement vers un développement équilibré de son économie et l’épanouissement de sa société…

 

 

La Thaïlande est très peu étudiée en France comme nombre de pays asiatiques, et j’ai eu grande peine à trouver des informations détaillées et fouillées à son sujet. Elle est souvent réduite dans notre inconscient collectif à une destination touristique tout aussi paradisiaque pour ses paysages et ses héritages culturels, que tragique du fait de l’importance de la prostitution, notamment pédophile. Les Thaïlandais bénéficient toutefois d’une image sympathique mêlant bonhommie, exotisme et érotisme. Bref, on se préoccupe fort peu de leur situation.  A vrai dire, tout le monde s’en fout.

 

Pourtant, l’ancien Siam est une nation particulièrement intéressante à bien des égards. En effet, le royaume bouddhiste ressemble moins au visage serein et avenant du prince Siddhârta qu’à un boddhisattva aux multiples faces. Derrière une réelle prospérité qui a bénéficié à tous, demeurent de fortes disparités entre les villes et les campagnes aussi bien aux niveaux économique que culturel. Ces différences, loin de s’être amoindries au cours de la dernière décennie, se sont renforcées, conduisant à une véritable incompréhension entre les populations citadines et rurales, source initiale et fondamentale de la crise politique actuelle.

 

La Thaïlande représente dès lors un exemple parfait des difficultés qu’une jeune démocratie –c’est-à-dire avec une pratique très limitée des responsabilités citoyennes – affronte quand elle doit gérer une croissance économique rapide qui, même si elle cherche à être équilibrée, ne peut qu’amener à un décalage, voire une scission, entre des villes, essentiellement Bangkok, entrées de fait dans la mondialisation, et des campagnes qui en restent partiellement à l’écart. En fait, cette crise met en lumière un pays qui se cherche, à l’image de nombre de nations émergentes de la région (Indonésie, Malaisie Pakistan, etc.), et c’est en cela qu’elle mérite qu’on s’y penche quelques instants.

 

 

Le pays a bien réussi son développement économique qui, bien qu’imparfait, a garanti une prospérité partagée par tous –à des échelles variables bien entendu- parallèlement à de véritables et importants progrès sociaux. La Thaïlande peut se prévaloir d’une espérance de vie de plus de 72 ans et d’une alphabétisation de 96% de ses 65  millions d’habitants. Surtout, une classe moyenne et une population ouvrière se sont progressivement établies dans les grandes villes alors que de plus en plus de paysans, propriétaires de leur terre, sortaient de la pauvreté en passant de cultures vivrières à peine autosuffisantes à une agriculture exportatrice.

 

La Thaïlande a parfaitement pu jouer de ses relations privilégiées avec l’Occident pour entrer de plein pied dans la mondialisation. Seul pays du sud-est asiatique à ne jamais avoir été colonisé, si on excepte les « visites » des contingents Franco-Anglais et Japonais, le pays est indépendant depuis le XIIIème et a su très tôt, au XVIIème siècle principalement, s’ouvrir au reste du monde en envoyant des émissaires à Londres et à Versailles. Cette ouverture précoce au monde lui a permis de gagner le respect des puissances européennes et d’avoir ainsi une connaissance suffisante des tensions et des luttes de pouvoir des Occidentaux lui garantissant son autonomie !

 

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le pays, malgré les fortes turbulences de sa vie politique intérieure est resté en bons très bons terme avec l’Ouest jusqu’aujourd’hui où elle constitue une aire de stabilité assez isolée entre la dictature Birmane et les nations en reconstruction précaire que sont le Laos et le Cambodge, la Thaïlande n’a pendant longtemps eu qu’ne seule frontière sereine, quoique mince et agitée par des tensions religieuses, avec la Malaisie.

 

Cette ouverture vers l’Occident lui a permis de développer assez tôt son économie, tout d’abord en renforçant l’agriculture, puis en accueillant des industries légères et le tourisme de masse dans les années 80, période euphorique d’une croissance annuelle dépassant les 10%. Stoppée dans son élan par la crise asiatique de 1997, l’économie du pays n’est toute fois jamais entrée en récession et a continué à s’ouvrir au commerce mondial tout en renforçant son marché intérieur. Depuis 2000, sa croissance tourne autour de 5%.

 

On peut alors se demander légitimement pourquoi un pays présentant autant de signes encourageants pour son avenir vit une situation politique aussi troublée. La Thaïlande, habituée aux coups d’états militaires discrètement arbitrés par le palais royal n’a en fait qu’une très faible culture démocratique alors que les libertés civiles, y compris la liberté de la presse, sont relativement bien respectées depuis longtemps. Ce paradoxe est lié aux difficultés qu’ont le palais royal et l’armée a abandonné, dans les faits sinon dans le Droit, les pouvoirs et l’influence qu’ils occupaient depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

 

La crise thaïlandaise n’est pas du tout une crise nationale, tout comme le coup d’état de 2006, elle est largement circonscrite à Bangkok, petit théâtre des intrigues et des ambitions des différentes parties qui mobilisent leurs sympathisants dans les rues. Surtout c’est une crise qui n’a aucun mobile autre que des querelles de pouvoir.

 

En effet, l’actuel premier ministre Samak Sundaravej a été poussé à la démission par la Cours Suprême pour avoir (et je ne triche pas) participé à des shows télévisés sur la cuisine contre une rémunération… Même si on imagine difficilement Nicolas Sarkozy préparer des nems avec Joël Robuchon, le motif invoqué laisse quelque peu dubitatif et cache mal la véritable raison de sa demande d’éviction : les liens de M. Sundaravej avec l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, élu dans la plus parfaite légalité, lui-même renversé en 2006 par les militaires. On aura du mal à trouver une ligne politique dans le camp des manifestants autre qu’une chasse à l’homme : derrière leur fier discours contre la corruption, il n’y a qu’une négation d’un partage démocratique du pouvoir.

 

En 2001, un pacha des médias d’origine chinoise –la diaspora chinoise tient le haut du pavé dans toute l’Asie du sud est-, Thaksin Shinawatra conquérait triomphalement le pouvoir avec son parti le Thai Rak Thai –les Thaïlandais aiment les Thaïlandais, tout un programme-, en promettant de gérer le pays « comme son entreprise » et de défendre l’identité nationale. En fait, il a plutôt jouer la carte du grand seigneur keynésien en développant un programme de développement économique largement financé par l’Etat, que les médias ont surnommé les Thaksinomics. Ces mesures, très paternalistes, cherchaient avant tout à favoriser le développement des campagnes quitte à se désintéresser un peu des villes. Ce changement de politique n’est pas qu’électoraliste. En effet, les campagnes accueillant encore les 2/3 de la population, il n’est pas anormal de se consacrer à son essor économique en complétant l‘agriculture par un rebond des industries légères.

 

Par ailleurs, Thaksin Shinawatra réglementa vigoureusement le monde la nuit à Bangkok, et réussit à séduire des firmes High Tech pour prévenir les premiers risques de délocalisation industrielle.

 

Enfin le premier ministre se lança dans une lutte extrêmement violente contre les cartels de la drogue matés avec succès, mais dans le sang. Il usa ensuite de la même violence contre les séparatistes musulmans des provinces Malaisiennes qui commettaient des attentats contre les temples bouddhistes et exigeaient la sécession de leurs districts.

 

Les réussites de son programme, la popularité des ses opérations sécuritaires, accompagnés d’un langage toujours musclé dans ses relation avec la Birmanie ou le Cambodge, lui ont permis de remporter une nouvelle fois les élections en 2005.

 

Quelques mois plus tard, devant une campagne médiatique lancée par un autre magnat de l’information contre lui et suite aux manifestations bruyantes et impressionnantes de l’opposition, S Thaksin décidait d’organiser des élections anticipées. Annoncé largement victorieux dans tous les sondages, son gouvernement fut renversé un mois avant le scrutin alors que le premier ministre se trouvait à l’ONU à New York…

 

On pourrait croire que ce coup d’Etat, accompagné de campagnes médiatiques ahurissantes contre sa personne, aurait du exclure à jamais S. Thaksin de l’arène politique ? Il n’en est rien ! Dès que les militaires ont rendu le pouvoir aux civils en décembre 2007, le parti de l’ancien premier ministre triomphait encore, lui-même ne pouvant plus venir en Thaïlande sous peine d’emprisonnement pour corruption.

 

Et pourtant, depuis plus d’un mois, les mêmes émeutes reprennent à Bangkok contre ce gouvernement élu, avec cette fois, une absence d’ingérence directe de l’armée qui cependant ne fait rien du tout pour les empêcher même lorsqu’elles attaquent le siège du gouvernement. Les prétextes n’ont pas changé en deux ans : il s’agit de dénoncer la corruption du parti au pouvoir et surtout de S. Thaksin, lié par son influence au gouvernement actuel.

 

 Que Thaksin soit corrompu n’est en fait pas le problème. Il l’est sans doute, mais pas plus que les militaires… Sa fortune considérable le met d’ailleurs sans doute plus à l’abri qu’un autre. En fait les dits militaires ne supportent pas la tutelle du pouvoir civile. Que le roi domine l’armée –et nous y reviendrons- passe encore, mais qu’un premier ministre soit si populaire et s’impose comme une figure incontournable de la politique, quitte à supplanter l’Etat Major, c’était impensable !

 

Les généraux ont essayé de se donner un beau rôle en prétendant être un garde fou contres les dérives financières et sécuritaire du gouvernement, à la mode turque Il est vrai que sa lutte contre les cartels de la drogue paya son efficacité par un lourd tribut d’innocents et d’exécutions sommaires ; son combat contre les séparatistes musulmans menait quant à elle à une impasse. Mais une fois encore, tout cela n’était que prétextes, des prétextes pour séduire les populations lettrées et occidentalisées des villes, choquées par de telles pratiques et prêtent à manifester violemment contre.

 

Cependant, les militaires n’auraient pu mobiliser seuls la population urbaine. L’armée a bénéficié et bénéficie encore du soutien du vieux roi Bhumibol, Rama IX, très révéré dans tout le pays pour le rôle de modérateur et d’humble serviteur du peuple qu’il a toujours prétendu tenir. Protecteur des minorités, le roi n’a pas agréé à la politique violente exercée contre les séparatistes musulmans et surtout, les bavures. Plus encore, à l’image des militaires, il n’a pas supporté l’émergence d’une figure si populaire au sein du pouvoir civil.

 

Il faut se remémorer les conditions du passage à la démocratie, voulue plus par le roi que par l’Etat Major en 1992. Le premier chef du gouvernement Chuan Leekpai était un homme compétent. C’était surtout le candidat du palais royal, avalisé par les électeurs de Bangkok et du sud. Après une brave administration sans lien avec le palais, ce fut un général qui fut porté au gouvernement, balayé par la crise de 1997, et aussitôt remplacé par le même Chuan Leekpai.

 

On constate donc que la première décennie de vie démocratique ne vit pas du tout de bouleversement du rapport de force politique : le roi et l’armée conservaient toute leur influence…

 

Rien de tel en 2001, ou un civil franc tireur se paie non seulement le luxe de conquérir le pouvoir triomphalement mais surtout de devenir extrêmement populaire ! Ses promesses de relancer le pays après la crise, et surtout ses réussites, ont métamorphosé le partage du pouvoir ! D’un gouvernement sous tutelle discrète, on est passé à une totale indépendance, voire à des velléités de suprématie du pouvoir civil et démocratique sur le roi et l’armée –en somme, le respect de la Constitution… Il faut dire que dans son élan, Thaksin Shinawatra a eu la maladresse de se voir élu président à la place du roi…

 

La politique de Thaksin Shinawatra lui garantissait le soutien des campagnes, des gens de peu et des nationalistes qui lui pardonnaient bien ses frasques diverses, aussi scandaleuse fussent elles. C’est à ce moment la qu’a été mis en lumière le clivage entre les populations urbaines et rurales, les premières choquées par les intentions de Thaksin et récupérées par la coalition Palais Royal/Etat major, les deuxièmes séduites par une politique qui leur était favorable. Pas de chance pour l’ex premier ministre, on sait depuis la Révolution française qu’une population citadine en colère peut donner le ton au pays pour peu que les points d’appuis du gouvernement dans la capitale soient faibles…

 

On pourra m’objecter à raison que les campagnes auraient pu refuser le coup d‘Etat des militaires et se révolter à leur tour. Or, c’est à ce moment précis que le rôle d roi a eu toute son importance : en discréditant lui même Thaksin et en agréant au plan de l’armée, il a su abuser le peuple qui lui est dévoué. Plus prosaïquement, le gouvernement issu du coup d’Etat n’a absolument pas remis en cause les acquis de l’ère Thaksin, les paysans n’allaient donc pas risquer leur vie pour sauver la place d’un « Chinois » qui par ailleurs, coulait et Coule des jours heureux à Londres, à l’abri du besoin !

 

 

Cependant, ils ont montré par les nouvelles élections de 2007 qu’ils ne lâchaient rien sur le fonds, en remettant au pouvoir les amis du premier ministre banni ! Cette élection a d’ailleurs montré la position paradoxale de l’armée qui permet des scrutins impeccables tout en refusant ses résultats… Car s’ils se sont tus pendant six mois, les revoilà aujourd’hui à essayer de profiter des nouvelles manifestations auxquelles ils ne sont sans doute pas étrangers !

 

Par delà les reproches faits au gouvernement actuels sur son affairisme et ses liens avec S. Thaksin, les militaires et les manifestants ont su saisir une erreur tactique du gouvernement qui a fait une concession au Cambodge au sujet d’un temple frontalier revendiqué par les deux nations et sujet virulent de controverse nationaliste. La concession du gouvernement a été fort mal ressentie par une population farouchement patriote. De là à jouer dessus pour renverser un gouvernement démocratique, il n’y a qu’un tout petit pas !

 

 

 

J’ai conscience de n’avoir pas été parfaitement clair dans ma lecture de la crise thaïlandaise. Je m’en excuse, mais mon billet est déjà fort long. L’essentiel de mon opinion réside dans le fait que ce pays émergent, développé et occidentalisé sur bien des points reste politiquement immature. Les royalistes et les militaires n’arrivent pas à accepter la perte de leur influence et profitent de dissensions entre citadins et ruraux pour attiser des tensions qui pourraient bien se retourner contre eux, et en tout cas contre l’intérêt du pays.

 

La mise en place d’une démocratie sereine est d’autant plus cruciale que le « sage » Bhumibol –j’ai essayé de montrer qu’il cherchait avant tout à préserver son influence- n’est pas bien loin de la mort. La question de sa succession, que personne n’évoque en Thaïlande est problématique car le prince hériter est un morveux dépensier et irresponsable méprisé par la population et dénué de toute culture politique. Or, il serait tout à fait dangereux que le pouvoir civil, sans cesse contesté, se retrouve en tête à tête avec des militaires qui loin de protéger les institutions avec constance, cherchent à les renverser quand elles ne leur plaisent pas !

 

Le Pakistan, ou la vraie clé de la guerre contre les Talibans

août 27, 2008

Les hasards de l’actualité sont parfois d’une acuité terrifiante, et mettent en lumière les imbrications discrètes et subtiles  qui sous tendent la géopolitique.

 

Cette semaine, le Pakistan a appris que son président, menacé de destitution, remettait sa démission, et les Occidentaux ont réappris qu’ils étaient engagés dans une guerre longue et difficile en Afghanistan, suite aux deux attaques des Talibans, d’une part sur une base américaine, d’autre part contre une patrouille française. Enfin, suite à de nouveaux bombardements alliés ratés, qui ont atteint de nombreux civils, le président afghan Hamid Karzaï a demandé une redéfinition de la mission de l’Otan En quelques jours, le statu quo a donc à la fois été bouleversé et mis sur le devant de la scène internationale.

 

 

Afghanistan et Pakistan sont deux pays frontaliers qui l’un comme l’autre révèlent des fragilités extrêmes d’autant plus dramatiques qu’elles se nourrissent l’une de l’autre. Depuis l’invasion soviétique de l’Afghanistan, la sécurité des deux nations est fortement imbriquée, si bien qu’il est impossible et vain de vouloir comprendre et expliquer l’une sans l’autre.

 

Les organisations islamistes ou qui se définissent comme telles (même si elles cachent souvent, de prosaïques mafias et seigneurs de guerre armés), se sont constituées dans les zones tribales du Pakistan des sanctuaires dans lesquels l’armée n’intervient presque plus, ou pour de rares opérations de grande envergure et de peu d’effets, si ce n’est une cascade d’attentats. Tout le monde sait bien que c’est depuis ces bases que les Talibans ont pu recouvrer leur force après leur débâcle de 2001, un peu vite oubliée au demeurant par ceux qui résument la guerre de l’OTAN à un échec lamentable.

 

La guerre en Afghanistan connait deux fronts, et malheureusement, il est impossible pour les Occidentaux d’anéantir directement leurs ennemis au Pakistan. Les problèmes rencontrés depuis sept ans ont pour cause principale cette difficulté géopolitique ; même si la gestion de la guerre par les Américains est loin d’être exemplaire, et la gestion civile de Karzaï, un gâchis monumentale. D’où l’importance de la situation au Pakistan. En effet les Occidentaux pourront tout tenter en Afghanistan, leurs efforts seront toujours bernés par la frontière pakistanaise. Cette évidence n’a d’ailleurs pas échappé à Barack Obama, qui a rappelé à de nombreuses reprises qu’une ouverture d’un front au Pakistan n’était pas inenvisageable.

 

De fait, la Pakistan, que d’aucuns rêvent comme une nation démocratique, se trouve encore et toujours au bord du gouffre. On peut bien traiter Pervez Muscharraf de tous les noms, on ne pouvait lui reprocher d’avoir pendant dix ans assuré une stabilité institutionnelle qui a sans doute limité les dégâts. On postule beaucoup sur ce qu’aurait du faire l’ex président dictateur (quoique la population avait initialement totalement approuvé son action), mais qui peut croire que le gouvernement actuel fera mieux ? A peine celui-ci était il intronisé qu’il proposait un cesser le feu des plus avantageux aux islamistes, laissant à ces derniers toute latitude pour se renforcer. Qui peut, de toute façon, croire que la coalition actuelle, qui n’existe déjà plus (Nawaz Sharif ayant fait défection) va combattre efficacement le terrorisme ? On oublie que si Muscharraf avait réussi à prendre le pouvoir pacifiquement en 1999, c’est justement parce que la clique de Nawaz Sharif, totalement corrompue, avait laissé les mouvances prendre une ampleur terrifiante.

 

A supposer qu’il dispose d’un plan pour combattre les fanatiques,  ce qui est plus qu’incertain, on ne voit pas très bien par quel moyen le gouvernement d’Islamabad pourrait l’appliquer. En effet, les civils disposent d’une autorité toute relative sur l’armée qui s’est depuis longtemps octroyée une large autonomie sur les aléas du gouvernement civil. Rivé sur le modèle turc, Muscharraf n’a en rien contrarié cette liberté même s’il a placé un fidèle à la tête de l’Etat major quand il a abandonné l’uniforme fin 2007.

 

Mais surtout, cette armée n’a qu’un contrôle relatif sur elle-même ! Le drame majeur du Pakistan se trouve moins dans ce pouvoir bicéphale que se partage civils et militaires que dans la difficulté qu’à l’armée à être unie et à n’obéir qu’à une seule volonté… Pour beaucoup de généraux, et encore plus pour les services de sécurité, le péril majeur pour la patrie reste l’Inde, le voisin honni mais si puissant. Dès lors, la priorité de ceux-ci est de contrecarrer toute influence grandissante de Delhi, particulièrement en Afghanistan. Tous les progrès réalisés vers la paix ne sont qu’illusions à leurs yeux terrifiés par un hypothétique encerclement de leur pays par l’influence indienne. Muscharraf n’a jamais eu qu’un pouvoir très incertain sur cette partie de l’armée qui disons le, agit largement comme elle l’entend.

 

Ainsi, je ne pense pas que le président dictateur soit pleinement responsable de la politique absurde et criminelle que mène l’armée envers le terrorisme. Au contraire, si Muscharraf s’est jeté dans les bras de G.W. Bush en 2001, c’est sans doute parce qu’il escomptait gagner assez de pouvoir et de légitimité pour s’imposer face à ces factions. Pari doublement raté, puisqu’il aura perdu ce duel, tout en étant lâché par Washington. Alors qu’il se rapprochait des Etats-Unis et de l’Inde, les Services secrets continuaient à chouchouter la Chine ; quand il partait en guerre contre les terroristes, les mêmes services leur donnaient des armes pour aller combattre en Afghanistan, bercés par l’illusion qu’ils ne s’en serviraient pas chez eux. Encore suis-je optimiste sur leurs intentions, sans doute plus vicieuses, puisque le chaos, dans leur esprit médiocre, devait leur garantir le pouvoir.

 

Muscharraf a bien essayé de reprendre la main, tantôt en conciliant tout son petit monde par des cessez le feu lamentables, tantôt en s’essayant à des coups de force impressionnants mais très douloureux pour le peuple pakistanais, éternelle victime de conflits sur lesquels il n’a aucune prise, pas même quand il élit des représentants. A chaque fois ce furent des échecs, mais des échecs qui cependant ne tournèrent ni au massacre ni à la guerre civile, sauf bien sur dans les territoires contrôlées par les mafias djihadistes.

 

Ainsi, alors que qu’un dictateur ayant autorité sur l’armée a échoué, je ne vois pas très bien comment un gouvernement civil serait compétent. Cette question est d’autant plus préoccupante que les politiciens pakistanais sont totalement centrés sur leurs petites luttes misérables. Leurs quelques mois de pouvoir se sont résumés à un échange de bons procédés avec les islamistes et à l’obsession démente de faire tomber Muscharraf… La chose étant accomplie, la coalition s’est presque immédiatement dissoute. La raison en est que le parti de feu Benazir Bhutto, dirigé par son veuf, personnage corrompu qui a miné tous les exploits de la bégum martyr, a refusé de réintégrer les juges de la cour suprême bannis par Muscharraf mais qui auraient pu avoir eu la fâcheuse manie de fouiller dans les compromissions passées du sieur Bhutto.

 

Pourtant, il faut se garder de prendre Nawaz Sharif pour un puriste, la raison de son engagement légaliste est fort simple : lui même étant déjà condamné pour toutes ses magouilles, et il a tout à gagner à ce que ses adversaires politiques passent à la casserole. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la vertu et le courage ne sont pas leurs priorités politiques. Par ailleurs, la démission de Muscharraf a provoqué une vacance de l’autorité telle que les circonstances sont au combien favorables aux islamistes. C’est d’ailleurs sans doute, la stratégie de l’ex président de montrer que son pragmatisme et son poids politique sont nécessaires au pays. Passons.

 

De toute façon, un gouvernement démocratique serait efficace s’il y avait matière à discuter avec les islamistes. Mais le fait est qu’il n’y a rien à négocier avec des lâches, des criminels, et des idéologues. On nous rabâche les coups de force et autres méthodes musclées du régime de Muscharraf contre les « présumés » islamistes. Mais c’était déjà de sa part, faire preuve de beaucoup d’humanisme, c’est le moins qu’on puisse dire, quand on voit le régime de terreur perpétuelle que font régner les Talibans et les mafias djihadistes dans leurs territoires. Un quotidien régenté par une idéologie oppressante et cruelle, des exécutions sommaires, barbares et infâmes. Les Talibans n’ont pas changé leurs châtiments depuis que le Mollah Omar a renversé le gouvernement de Kaboul en 1997 : on émascule, on exécute par balle, on traine les corps sur les routes, on les pend à la vue de tous. La voie Appienne n’est pas loin.

 

Pour le moment, la situation au Pakistan est donc bloquée. Et Benazir Bhutto ayant étant assassinée, on attend désespérément une figure prodigue pour assurer la relève.

 

Ce blocage est la raison principale de l’enlisement en Afghanistan même si les erreurs commises par l’Otan ont été nombreuses. Les Américains ont commis une faute majeure en passant que la guerre avait été gagnée en 2001 et qu’après avoir installé un gouvernement légitime, ils pouvaient se permettre une guerre en Irak. Ce comportement stupide, conjointement à une timidité d’engagement militaire pitoyable coutumière aux pays européens, dont la France de Jacques Chirac, a eu pour seule conséquence une recrudescence du pouvoir des chefs de guerre locaux, qu’Hamid Karzaï doit désormais copieusement arroser avec les fonds de reconstruction (et un laisser faire sur la drogue) s’il ne veut pas que son autorité soit circonscrite au parvis du Parlement. Surtout des Talibans ont ainsi eu tout le loisir d’opérer un repli paisible sur la frontière pakistanaise ; on connait la suite. Il y a certes eu une reprise en main militaire des choses, mais les résultats, réels sont timides : les troupes sont en trop faible nombre pour assurer leurs missions et doivent donc avoir recours à des moyens aériens pour combattre ; moyens peu efficaces, voire meurtriers et contre productifs.

 

On a beaucoup critiqué la reconstruction. Sans doute les fonds, loin d’être insuffisants, ont été très mal employés par le gouvernement afghan, corrompu jusqu’à la moelle. Je continue à penser que le pouvoir a été trop vite remis aux civils. On en connait la raison : les Occidentaux voulaient montrer qu’il s’agissait d’une guerre de libération. Mais on oubliait un peu vite, que ceux à qui ont donné le pouvoir l’avait déjà perdu.

 

Je ne suis pas stratège et ne me permettrait en rien de donner des leçons aux militaires, notamment Français, qui connaissent admirablement leur métier, et force est de constater qu’on ne leur donne pas les moyens de gagner cette guerre. Tous les politiciens moisis, tels Dominique de Villepin ou Henri Emmanuelli, qui se permettent d’insulter les militaires en disant qu’ils ne pourront que perdre la bataille, omettent que les forces engagées sont loin d’être à la hauteur, et que seul le professionnalisme de notre armée a permis d’avoir de si faibles pertes. Car rappelons le de suite, si les dix morts sont dramatiques, l’Afghanistan reste une guerre qui a épargné les forces françaises. De la même manière qu’un renforcement des troupes fut efficace en Irak, elle le sera en Afghanistan pour peu qu’on adopte une vraie stratégie vis-à-vis du Pakistan. La vraie difficulté est en fait dans la possibilité même de ce renforcement qui mène à un troisième front, celui de l’opinion publique.

 

Depuis la mort au front des soldats, mort qu’il avait envisagée avec honneur en s’engageant pour notre nation et ses principes, on a assisté à un défilé lamentable d’hommes politiques, tous prêts à profiter de la situation pour attiser la tristesse populaire, prompte à l’indifférence, sinon à la lâcheté face à l’ennemi. Bien sur, je ne prétends pas au courage en pensant que l’envoi de troupes est la meilleure solution. Je ne fais strictement rien d’autre que parler et écrire. Mais au moins, je ne participe pas à la débâcle de l’opinion qui semble oublier pourquoi la France et les pays libres se sont engagés en Afghanistan.

 

La palme de la nullité revient à Olivier Besancenot qui cherche à organiser une manifestation. S’il veut protéger les terroristes et les Islamistes, ca le regarde. Mais qu’une partie du parti socialiste lui emboite le pas est un peut plus effrayant, puisque sont censés s’y trouver des Hommes d’Etat… Or des Hommes d’Etat et normalement des citoyens, ne peuvent laisser se reconstituer un état terroriste et une dictature islamiste qui rappelons le, choquaient les mêmes beaux esprits gauchistes en 2000/2001…L’Occident va au devant de batailles bien plus douloureuses pour ce siècle, il serait de très mauvais augure qu’elle abandonne une des guerres les plus justes et les plus nécessaires qu’elle a eues à mener.

 

En Afghanistan, l’Occident a libéré un peuple du joug des fanatiques et de la mafia. Qui peut contester la légitimité de ce succès ? Olivier Besancenot préfère t il revoir des femmes, des hommes et des enfants exécutés devant des centaines de rats dans un stade pour avoir enfreint je ne sais quel précepte obscurantiste de la Charia ? Ou faut il au contraire, que l’armée fasse tout son possible pour éradiquer ceux qui ne veulent pas se rendre et continuent à piller, à torturer, à terrorise des populations entières ? Il n’y a pas de solution politique avec les Talibans, car ils n’ont rien à négocier. Doit-on proposer d’associer des criminels à un gouvernement démocratique ?

 

Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a bien rappelé que notre sécurité se jouait dans cette région. La négligence nous a déjà couté chers, et je trouve les Français bien inconscients de vouloir se désengager d’une zone de conflit dans laquelle trainent, simple détail, quelques bombes nucléaires… Il ne suffira pas de bonnes intentions ou de trois drones pour contrer le bastion qu’ont reformé les restes d’Al Qaida, tenue en échec en Irak. L’organisation a beau avoir été considérablement affaiblie, ses bastions sont on ne peut plus vivaces.

 

Les nations libres étaient intervenues trop tard en Afghanistan, il serait sage qu’elles ne l’abandonnent pas trop tôt.

Qu’est ce qui a bien pu passer par la tête du gouvernement Géorgien ?

août 11, 2008

 

 

Alors que le Caucase est en guerre, on pourra trouver mon titre un peu déplacé, voire hors de propos. C’est un peu vrai. Cependant, je n’arrive toujours pas à comprendre comment le président Mikheil Saakachvili va pouvoir justifier sa décision d’envahir les « régions séparatistes » de son territoire, l’Ossétie du Sud puis l’Abkhazie, qui sont en réalité autonomes depuis la chute de l’URSS et sous contrôle russe depuis quelques années.

 

Que les relations soient extrêmement tendues, tout le monde le savait et considérait qu’elles se normaliseraient avec le temps, l’infidèle ami des optimistes ; mais que les escarmouches quotidiennes deviennent une guerre ouverte, peu l’avaient anticipé.

 

La raison est à mon avis fort simple : la Géorgie a agi sur un coup de tête. On sous estime généralement le rôle de l’irrationnel dans les décisions politiques importantes, notamment lorsque la situation est plus que fébrile. Pourtant, vu le temps de réaction des Occidentaux mais aussi de la Russie, il semble bien que les attaques n’aient pas été débattues longtemps à Tbilissi… Par ailleurs, leur inefficacité notoire vient confirmer à mon sens cette hypothèse mais ca n’est pas le problème.

 

Je ne vais pas reprendre le cours des événements que je serai fort incapable de retracer rigoureusement. De plus, il est totalement impossible de faire la part du vrai et du faux dans les tableaux factuels qui sont tracés. On ne peut que se fier aux grandes lignes et à l’impressionnante joute diplomatique qui s’est mise en place. Je vais donc me contenter de donner mon avis sur leurs tenants et aboutissants qui prouvent qu’à l’évidence, Saakachvili a joué un coup de poker qui n’a bluffé que lui.

 

En effet, j’ose espérer pour la santé mentale du président géorgien qu’il n’espérait pas tenir plus de quelques heures face à l’armée russe qui, par delà ses effectifs pléthoriques, n’est pas réputée pour avoir beaucoup de scrupules. A priori, il comptait donc sur l’effet de surprise pour prendre le plus rapidement possible les territoires dissidents, puis imposer un nouveau statu quo à la Russie en misant sur le soutien indéfectible des Etats-Unis, et peut être de l’Europe (mais comment compter sur le soutien immédiat d’une Europe qui met des mois à prendre la moindre décision ?).

 

D’ailleurs, le fait d’avoir choisi l’Ossétie du sud n’est pas du au hasard : le territoire est plus proche des armées géorgiennes, plus petit, plus facile à contrôler que l’Abkhazie ; autant d’éléments qui font penser à un coup de tête qui se voulait un coup de force.

 

Cependant, on peine à trouver un seul signe favorable dans le climat diplomatique actuel qui aurait poussé le gouvernement géorgien à se fier à de tels soutiens hypothétiques. Au contraire, tout laissait à penser que le moment n’était pas du tout bien choisi pour tenter d’opposer les Occidentaux et les Russes.

 

L’Occident, et les Etats-Unis en particulier, ont bien conscience d’avoir mis de nombreuses fois la Russie au pied du mur depuis la chute de l’URSS et que Moscou, ou plutôt Vladimir Poutine, a bien fait comprendre que le pays regrettait déjà d’avoir tant cédé (ou perdu) de son influence. Sans même remonter à la désillusion que fut l’intégration de l’Europe de l’Est à l’U.E. et à l’O.T.AN., il suffit de penser au radar et aux missiles que les Etats-Unis vont installer en Tchéquie et en Pologne pour leur bouclier anti balistique… Une autre ligne rouge a été franchie avec l’indépendance du Kosovo, combattue depuis toujours par Moscou, et contre laquelle les Russes n’ont rien pu faire, si ce n’est justement, promettre que « cela ne sera pas sans conséquences »… Les chancelleries occidentales, et surtout européennes, savent qu’avec cet événement, elles ont grillé leur dernière cartouche pour quelques temps. Le refus par la France et l’Allemagne principalement, d’accorder le statut de pays candidats à l’O.T.A.N. à l’Ukraine et à la Géorgie (et on ne peut aujourd’hui que s’en féliciter !), manifestent cette volonté de ne plus irriter Moscou. Certes, les Etats-Unis soutenaient les anciens satellites communistes mais ils ont vite compris qu’il valait mieux attendre. De fait, mieux vaut que les Russes soient dans de bonnes conditions pour aider à régler la question iranienne, sans parler des matières premières et énergétiques dont l’Europe a tant besoin…

 

Peut-on d’ailleurs reprocher à la Russie de ne pas tout accepter à ses portes ? Il est bien normal que l’ancienne puissance montre ses muscles dès lors que ses intérêts sont menacés. Que diraient les Etats-Unis si Poutine installait à nouveau des missiles à Cuba ? Sans doute la même chose qu’en 1962 ! Même si la violence verbale de la diplomatie russe est choquante, il faut la remettre dans son contexte. La Russie est littéralement cernée ! En effet, je rappelle que ses relations avec la Chine sont houleuses, et que la paix avec le Japon n’a jamais été signée ! Il ne reste à la Russie que l’Asie centrale, encore que la Chine et les Etats-Unis aient mis plus qu’un pied dedans…

 

Longue, cette digression a pour but de montrer que les Occidentaux n’étaient sans doute pas disposés à affronter si tôt la Russie pour un confetti caucasien comme l’Ossétie, et que je ne comprends pas ce qui a pu faire penser à Saakachvili que ce serait le cas… Au contraire, il aurait du se douter que les Russes se jetteraient sur cette occasion bénie pour montrer qu’ils peuvent régler leur compte à n’importe lequel de leurs anciens satellites, et que le soutien qu’ils promettent à ceux qui demandent leur protection n’est pas vain.

 

Les Russes n’ont jamais caché qu’ils considéraient le Caucase comme une région stratégique. D’ailleurs, on peut reprocher tout ce qu’on veut aux Russes, mais surement pas leur manque de clarté géopolitique ! Bien entendu, il y a le pétrole. Mais on se focalise trop souvent sur cet élément. En effet, les Russes savent pertinent qu’ils ne prendront pas l’Azerbaïdjan et ne toucheront pas une goutte du pétrole qui y transite. L’objectif vise juste à conserver son influence, voire de la renforcer. L’erreur russe historique consiste à vouloir garder leur place par la force et la contrainte, ce qui les perdra. De fait, les relations qui ne sont fondées que sur la coercition sont pour le moins fragiles! Mais il faut constater qu’à court terme, cela leur assure des gains immédiats dont la précarité évidente ne leur importe pas. Le pays n’a d’ailleurs pas vraiment le choix. Poutine a bien essayé de passer à des méthodes de « soft power » et d’influence positive, mais Moscou ne peut rivaliser, même avec son gaz et son pétrole, face aux avantages qu’offrent les Etats-Unis.

 

Passons. Le fait est que la Russie impose sa loi par la contrainte, et qu’elle le fait bien, à son avantage j’entends. Saakachvili devrait le savoir, il essuie depuis cinq ans tous les coups bas possibles et imaginables, y compris au travers du clergé orthodoxe !

 

La Russie a toujours soutenu les régions séparatistes de Géorgie. Bien sur, ce soutien avait été mis en veilleuse pendant les guerres de Tchétchénie, officiellement terminées avec la prise de Grozny en 2000. Le motif, fort simple était l’impossibilité de combattre et de défendre en même temps les mouvements indépendantistes ! Cependant deux éléments ont relancé le vif soutien de Moscou envers les Ossètes et les Abkhazes : l’élection de Saakachvili, « complot américain», et la pacification presque totale de la Tchétchénie en 2005, avec l’élimination des derniers chefs importants. Dès lors, Moscou s’est plu à distribuer des passeports russes, à reconnaitre les gouvernements élus de ces « républiques » et les référendums établissant leur indépendance voire leur rattachement à la Russie. Enfin, Moscou a envoyé des armes, renforcé sa « force de la paix » présente depuis le début des années 90. Force de la paix un peu partisane cependant, puisque la Géorgie a étonnamment perdu un certain nombre de drones ces six derniers mois… En fait, en attaquant l’Ossétie, la Géorgie a tué des citoyens russes.

 

C’est là l’erreur impardonnable de Tbilissi. En menant une offensive armée et agressive, en tuant des Ossètes/citoyens russes mais aussi de soldats « de la paix », elle a offert à Moscou un casus belli qui n’a pas d’égal : la vengeance. Qu’a dit Medvedev sinon que « ces crimes ne resteront pas impunis » ? Et d’ailleurs, de quel droit la Géorgie a-t-elle franchi cette limite ? Il est un peu facile d’aller demander de l’aide après avoir commis l’irréparable !

 

Je rappelle que les Allemands venaient de s’engager à mener des discussions pour régler pacifiquement la situation. Cela aurait échoué sans aucun doute, mais il n’en reste pas moins que cette volonté de discuter aurait dû empêcher toute violence. De plus, de quel droit les Géorgiens veulent ils intégrer ces deux régions qui ont toujours manifesté leur volonté d’autonomie ? Cette situation est d’autant plus facile à défendre pour Moscou que les Occidentaux ont octroyé l’indépendance au Kosovo, dont le cas était beaucoup moins évident ! L’Europe trainera pour longtemps ce boulet du Kosovo, que ce soit dans ses relations avec la Russie que dans l’assimilation future de l’ex Yougoslavie en Europe…

 

La Russie finalement était dans son bon droit en intervenant en Ossétie, et d’ailleurs personne ne lui a reproché. Même G.W. Bush s’est contenté de condamner les excès de violence et de demander à la Russie de rester en Ossétie, comme s’il s’agissait de son territoire ! Je ne pense pas que Moscou ira beaucoup plus loin, mais elle a déjà gagné. Elle se trouve dans une positionne de force absolue. La Géorgie serait déjà conquise si les Etats-Unis et l’Europe n’étaient pas la, et Saakachvili aurait pris une balle « perdue » entre les deux yeux (il est vrai que le hasard vise alors bien). Ce dernier l’a déjà reconnu, puisqu’il a comparé la situation à celle de Prague en 48 et en 56!

 

On peut juste espérer que Moscou ne profitera pas de l’occasion pour intégrer deux nouvelles républiques à la Fédération, mais rien n’est moins sur. Au pire, que la Géorgie se concentre sur ses terres, qu’elle profite de ses 10% de croissance et qu’elle laisse ses territoires qui n’ont jamais voulu d’elle ! La devise géorgienne proclamant « La force est dans l’unité », il serait appréciable que le pays l’applique autrement que par ses illusions territoriales.

 

En revanche, la Géorgie sortira totalement décrédibilisée de cette guerre, et il ne pouvait en être autrement. Ecrasée militairement, elle a par ailleurs beaucoup préjugé de son intégration à l’Ouest ! Les habitants de Tbilissi ont accusé l’Europe de les avoir abandonnés alors qu’eux mêmes voulaient nous rejoindre ! Or, d’une part, il n’a jamais été question d’intégrer la Géorgie, et d’autre part ce pays vient de faire preuve d’une immaturité telle que son adhésion à l’O.T.A.N. n’est plus du tout envisageable à court terme. Imaginons à quel scénario catastrophe toute l’expédition géorgienne nous aurait menée si elle avait fait parti de l’OTAN et pire encore de l’Europe ! Il est hors de question de replonger dans une guerre froide pour contenter le nationalisme géorgien !

 

Déjà, le conflit a fait ressortir toutes les tensions qui peuvent exister entre les pays européens orientaux et Moscou : la Lettonie a exigé que l’U.E. revoie ses relations avec la Russie, la Pologne a demandé de la fermeté… L’Ukraine a menacé de fermer le port de Sébastopol, ce qui relève cependant du gag, et prouve encore une fois que le nationalisme est plus proche de la bouffonnerie que de la bravoure.

 

Il serait fâcheux qu’à cause de la Géorgie, la Russie prenne confiance en elle, et remette en œuvre tous les moyens de nuisance qu’elle a pu semer en Europe de l’Est. Le problème de la Transnistrie est le plus criant. En effet, à l’est de la Moldavie, se trouve une bande constituant un territoire autonome sous protectorat russe. Moscou pourrait rouvrir les hostilités à son sujet.

 

Si j’ai parlé de cette dernière anecdote, ca n’est pas pour remplir quelques lignes mais bien pour montrer que la prudence européenne est bien motivée, et non seulement soumise aux besoins en énergie comme beaucoup de moralisateurs voudraient le faire croire.

 

Enfin, je conclurai en disant que la Russie va aussi beaucoup perdre dans son conflit. Moscou peut bomber le torse, elle vient de gagner…deux territoires minables, pauvres, ruinés, totalement gangrénés par la mafia et des associations explosives entre militaires corrompus et corrupteurs, et criminels en tous genres. Joli butin…Bien sur, sa puissance coercitive va gagner ne visibilité, et le gouvernement moscovite sera perçue comme « fort »…

 

Pourtant le prix sera lourd puisque la Russie vient de montrer définitivement et au grand jour ses instincts impérialistes que tout le monde soupçonnait sans pouvoir prouver. Tout espoir d’investir en Géorgie est ruiné, et ce pays est définitivement perdu pour Moscou. Je pense aussi que nombre de voisins vont avoir peur, et que le Kremlin a perdu toute crédibilité dans ses tentatives de « dédiabolisation ».

 

Une guerre courte mais très importante donc, qui a des causes immédiates irrationnelles, une conclusion sans doute accablante mais qui a manifesté tous les ressorts de vingt de post communisme…

 

 

 

 

Je tiens à m’excuser pour les erreurs que j’ai sans doute commises sur un sujet que je maitrise peu.

 

PS : Je ne peux m’empêcher aussi de remarquer une fois de plus l’inefficacité pathétique de l’ONU, qui commence sérieusement à être pitoyable…mais c’est une autre histoire…